Cabaret Vauban. Samedi 28 décembre 2013, vingt trois heures et des brouettes. Le troisième et dernier concert des Goristes vient de s’achever, qu’il faut déjà préparer la salle pour le petit bal qui suit et va emmener la foule des danseurs jusqu’au bout de la nuit. Il faut faire vite, ranger quelques centaines de chaises, balayer la scène et la salle, démonter le matériel de sonorisation, les lights, débrancher les câblages. Tout le personnel disponible est à la manœuvre. Charles, le taulier, chemise blanche, cravate noire, balaye adroitement le mythique plancher en bois de la salle. À quelques encablures, il y a Jacques Guérin, le patron de Quai Ouest musiques, qui replie les pieds de micro. Il est comme ça Jacques, pas du genre à donner des ordres et à laisser ses équipiers faire le taff en sirotant une bière au bar. Guérin, c’est un patron à l’ancienne, qui relève les manches et va au charbon. Personnage atypique, maillon totalement indispensable, indéboulonnable élément de la vie culturelle brestoise et régionale, c’est à lui qu’on doit ces concerts traditionnels de fin d’année. Car franchement, que serait le Cabaret Vauban sans la série de concerts des Goristes ? Trois dates, généralement sold out, complet de chez complet un mois ou plus avant la première. Jacques est monté dans le raffiot de ces huit pères peinards, dès le début de la croisière, pour tenir la barre et faire de cette aventure une véritable petite entreprise, un rendez-vous que nombre de brestois ne raterait sous aucun prétexte. D’ailleurs hier soir pendant le concert, avec Dom (qui fait office de régisseuse autant que de nounou de ces huit grands gamins) on se posait la question existentialiste : « Que serait le monde sans un concert des Goristes ? » Mais je m’égare, revenons à Jacques qui porte un nom prédestiné quand on navigue du côté de Brest, Guérin, comme la place du même nom, haut lieu des grandes figures locales.
Je connais Jacques Guérin depuis un bail, j’allais dire depuis toujours. Il est l’un des premiers producteurs de spectacles à qui j’ai demandé une accréditation photographe, l’un des premiers qui m’ait fait confiance aussi et ça, ça ne s’oublie pas et forcément ça crée des liens. Jacques est un homme discret, élégant et toute sa personnalité se reflète dans son regard. Parlez-lui de musiques (au pluriel), de projets et son regard s’allume. Parlez-lui des Jeudis du port, des Mardis de Morgat et il s’éclaire. Monter des projets en partant de rien, c’est son affaire. C’est un bosseur invétéré et quand il est au taff, rien ni personne ne peut l’arrêter. Un conseil, à ce moment-là, il ne faut pas venir le chatouiller sur son terrain, quand Jacques est dans son truc, il ne fait pas bon tenter une intrusion. Côté face, il y a le talent de défricheur, de découvreur de talents. Comme d’autres sont un nez pour découvrir l’essence d’une fleur ou d’un futur grand cru classé, l’ami Guérin a un pif de génie pour détecter le pur talent. La liste des artistes qu’il a révélés au public breton est longue comme le bras et l’affiche du prochain festival du Bout du Monde, dont il se définit, avec une humilité confondante, comme l’une des chevilles ouvrières, ne me contredira pas. Les premiers noms annoncés pour 2014 sont le prélude à une très, très grande édition et je veux bien parier que cette année encore la jauge sera atteinte et que le Boudu se jouera à guichets fermés.
Une affiche éclectique, tout public, avec une touche classieuse. Quand j’ai vu les premiers noms s’annoncer, j’ai souri, imaginant Jacques, jouasse, assemblant son affiche avec ses équipiers, comme d’autres assemblent des cépages pour élaborer un grand Champagne. Le Bout du monde, c’est un Champagne Grand cru mais ça doit rester un breuvage pétillant et fruité, accessible à tous. Bon, évidemment, un coup de Miossec, ça ne peut pas me laisser indifférent, certes. Si on dégaine en plus un zeste d’Agnes Obel, une touche frenchie classieuse de Maxime Le Forestier et un grosse rhapsodie hongroise façon Besh O Drom pour bien secouer le cocktail, on est bien dans le ton. Un brin de soleil de Jamaique (que serait le Boudu sans les rastas chers au cœur du public) avec les mythiques Wailers ou Winston McAnuff, qui a bourré le Vauban d’un concert sold out il y a peu. On annonce aussi Féloche et son univers déglingué et pour la touche jazz, Pink Martini, délicieusement surané, entre petit bal de la Havane et musique de chambre, un vrai groupe de world music à lui seul. Et puisqu’on en est au chapitre jazz, il faut parler de Hypnotic Brass ensemble, héritiers de Phil Cohran, le trompettiste du Sun Ra Arkestra, membre fondateur de l’AACM de Chicago, excusez du peu. Ouais, bon ça va M’sieur Guérin hein ? On a compris. La messe est dite. Et comme dirait le Francis, c’est que le début, d’accord, d’accord.
Hier soir, avant de quitter le Vauban, je suis allé saluer M’sieur Guérin, pendant qu’il repliait les pieds de micro. On a parlé vite fait du vingtième anniversaire de Quai ouest, sous un chapiteau, en avril 2014. L’occasion de faire la fête, d’inviter des amis, des zicos qui ont contribué à écrire l’histoire, comme les potes toulousains de Zebda, entre autres. Et puis on a parlé du Boudu, bien sûr. J’ai demandé à Jacques de me donner un nom qui ne serait pas sur l’affiche et là, il a lâché, dans un sourire réprimé : « Jeff Beck. » Uppercut. Fuck me twice, le fondateur des Yardbirds avec Eric Clapton et Jimmy Page. Jeff Beck, probablement l’un des plus grands guitaristes de tous les temps, détenteur de sept Grammy Awards, désigné par le magazine Rolling Stone comme l’un des guitaristes solistes les plus influents dans l’histoire du rock. Beck, un phrasé de guitare inimitable, reconnaissable entre tous, une guitare qui s’envole sur People get ready (en 1985 avec Rod Stewart). Beck qui va rimer avec Landaoudec. J’observe le regard de Monsieur Guérin, quand il parle de musique, son œil s’allume et son secret est là, finalement. On n’est rien sans passion. Jacques Guérin c’est ça. Un pif de génie pour détecter des talents, l’envie de donner du plaisir et que les gens soient heureux. Parce que ça, finalement, ça suffit à son bonheur.
• photos : Carlos Nuñez au festival du Bout du monde en 2004. Jacques Guérin, backstage Cabaret Vauban avant le concert des Goristes, 28 décembre 2013.
• liens utiles : site officiel du Festival du Bout du Monde. Site de Quai Ouest musiques.
Jev-prix dit
Jeff beck, un sacré guitariste !! Merci pour cet article qui fait rêver. Vous avez un très beau métier !