À bien y regarder, ces deux-là, tout les oppose. Tout. L’un vient de l’occident, du pays de Voltaire, de Rabelais et des lumières. L’autre vient de la terre d’Aram, aux confins de la méditerranée, un pays magique aujourd’hui meurtri par la guerre. L’un joue debout de sa fender électrique tandis que l’autre est assis, pinçant méthodiquement les cordes de son oud. Qu’est-ce qui a pu réunir ces deux hommes venant d’horizons tellement différents ? Côté jardin, Serge Teyssot-Gay, qui fut l’âme guitaristique du légendaire Noir désir, probablement le plus grand groupe de pop rock que la France ait eu le privilège d’enfanter, lui qu’on reconnaîtrait entre mille sur un simple accord de guitare, lui le guitariste taciturne aux pieds nus, capable de tous les jeux, en nuance comme en profondeur, fin, racé, élégant. Côté cour, assis sur chaise, il y a Khaled Al Jaramani, vous ne pouvez pas le rater, cet homme sourit tout le temps et même quand il ne sourit bas, il y a dans ses yeux cette flamboyance incandescente qu’on ne trouve qu’au delà de la méditerranée, aux portes de l’orient, là où les hommes sont fiers du privilège d’être. De son oud qu’il tient fébrilement entre les mains, Khaled, qui a été professeur à l’Institut supérieur de musique de Damas, tire toute la quintessence de cet instrument traditionnel et millénaire. Entre ses mains le oud chante, rit et pleure la misère de tout un peuple martyr. La musique est mon chemin disait-il. Voilà, ces deux hommes, finalement, rien ne les oppose et ce chemin les réunit. Mieux encore, Serge affirme que cette rencontre l’a incité à se déconstruire, musicalement parlant, à sortir de la voie toute tracée, peut-être aussi à casser son image de guitariste de, même si le fantôme de Noir dez n’est jamais très loin.
Après un concert époustouflant, doux euphémisme, dans cette salle définitivement magique qu’est le Run ar Puñs, j’ai croisé Serge Teyssot-Gay et, après l’avoir félicité de son concert, entre nous il ne pouvait pas faire un pas sans être alpagué par un spectateur qui le remerciait, je lui ai fait remarquer que la prestation d’Interzone, ce soir dans le cadre d’Atlantique jazz festival m’avait semblé nettement supérieure, tant en terme de qualité que d’émotion, à celle réalisée l’été dernier aux Vieilles Charrues, où s’était produit Interzone dans sa version extended. « C’est normal. J’aime beaucoup la version quintet, mais on ne ressent pas les mêmes émotions que dans la formation initiale qu’est le duo. À deux il y a une intimité musicale qui est très intense, c’est comme ça qu’on le ressent. » m’a confirmé Serge, souriant et visiblement heureux de ce concert généreux, ressenti par un public enthouasiaste, comme toujours, ici au Run.
Avant de quitter le Run ar Puñs, son ambiance chaleureuse si particulière, et pas seulement grâce au feu qui crépite dans la cheminée, les yeux rieurs du taulier, Jakez, j’ai croisé une partie du staff de l’Atlantique jazz festival qui réalise un peu partout d’excellentes audiences. « La semaine qui vient s’annonce chargée ! » m’a lancé dans un sourire Anne Yven, la sémillante responsable communication de Penn ar jazz. Après avoir essaimé sur différents lieux en Bretagne (Carhaix, Landerneau, Lorient, Saint Martin des Champs, Douarnenez, Lannion, …), le festival retrouve son lieu d’origine, Brest même, avec des concerts gratuits à la salle du Clous, puis au Mac Orlan et bien sûr au Cabaret Vauban. Sans oublier la soirée du mardi 15 octobre, au Quartz, scène nationale, qui accueillera Ernest Dawkins ensemble pour le concert « I have a dream » l’hommage à Martin Luther King. En passant la porte du Run, j’ai croisé Khaled Aljaramani. « Merci Khaled. C’était un très grand concert. » Khaled a pris ma main, l’a serrée, m’a souri. Et puis il a mis sa main droite sur son cœur, avec ce sourire franc et massif qui n’appartient qu’aux hommes de ce pays, là-bas, aux portes de l’orient. Et là j’ai réalisé que cette rencontre, cette symbiose musicale entre orient et occident, entre deux hommes que tout oppose et que tout réunit, était aussi un symbole fort. Comme un signe de paix. Quand les fusils se taisent, la musique règne.
• voir toute la programmation de Atlantique jazz festival sur le site de Penn ar jazz
• une pensée pour Karl. Je pense que toi aussi, tu as adoré ce concert.
RV dit
J’ai eu l’occasion de voir Serge Tayssot-Gay quelques minutes aux Vieilles Charrues, mais là où il m’a vraiment scotché, c’est lors de son spectacle avec Paul Bloas, peintre Brestois connu et reconnu. Pendant une heure, les deux amis se retrouvent. Paul peint deux tableaux, Serge l’accompagne par des riffs de guitare incroyables… C’est à voir !