Chaque fois que j’entends l’expression f2,8 il me revient en mémoire deux anecdotes. D’abord la mention f2,8 sur un panneau annonçant les autorisations et les restrictions photo du jour, au festival des Vieilles Charrues, il y a quelques années. L’auteur (Emmanuel Danielou, journaliste émérite, grand bénévole des Charrues devant l’éternel, chargé entre autres de martyriser le gang des joyeux photographes accrédités) avait ainsi libellé son annonce journalière : « Annonce à l’attention de tous les photographes et autres afficionados du f2,8″ tant ce chiffre symbolise bien ce qu’on peut faire de mieux en matière de luminosité, généralement, sur une optique de type zoom trans-standard. L’autre moment, c’était à un salon de la photo, sur le stand d’une marque prestigieuse dont je tairais le nom, parce que je ne suis ni une balance, ni une poucave d’abord, et que je tiens l’auteur de ces mots en grande estime, ensuite.
Ainsi donc nous devisions gaiement sur les reflex numériques et les optiques d’alors et pendant que je me laissais empêtrer par ma mauvaise foi légendaire (mais avec les amis, c’est permis) pour titiller mon interlocuteur, le pousser dans ses derniers retranchements, celui-ci avait lâché, passablement agacé par mon ton péremptoire, cet argument définitif qui sonnait comme une sentence, un couperet : « Bon, c’est pas parce qu’on vous conçoit des optiques à f2,8 que vous devez les utiliser à f2,8 ! Hein ? » Sur le coup, cet argument m’a tellement séché que j’en suis resté bouche bée. J’hésitais entre une charge à la hussarde, sabre au clair, tranchant toutes les têtes qui passaient à proximité (mais c’était pas une bonne idée parce qu’en fait on n’était que trois), voire une sortie théâtrale façon Maurice Clavel (« Messieurs les censeurs, bonsoir ! ») et une réflexion raisonnée sur le sujet. Parce que connaissant le bonhomme, son côté posé, son parcours professionnel, ses compétences techniques, je me suis dit que cette phrase avait sans doute du sens. On est donc passé à autre chose. Mais la phrase, elle, est restée.
J’ai souvent repensé à ce conseil d’expert, conseil éminemment précieux. À dire vrai, et de manière presque inconsciente, chaque fois que je travaille, si les conditions le permettent (et c’est la plupart du temps le cas, surtout avec Nikon D4, capable de monter, monter…), j’évite soigneusement de bosser à f2,8. J’ai souvent évoqué avec cet ami cette anecdote et à chaque fois qu’on en reparle ensemble, je le sens toujours un peu gêné d’avoir été aussi radical et pourtant son argument sonne comme une évidence. Oui, bien sûr, vous pouvez utiliser une optique à f2,8 puisque finalement elle a été conçue pour ça. Mais vos images, qui seront bonnes à f2,8 seront bien meilleures à f4. C’est ce qu’il voulait dire, le bougre. Il faut éviter de tomber dans le systématisme du f2,8 surtout si on peut éviter de faire autrement, en clair ouvrir moins grand. Le pire scénario auquel j’ai assisté (bien involontairement, pensez donc) c’est ce photographe qui répétait à l’envi qu’il ne bossait qu’en manuel. Un jour, je suis tombé par hasard sur ses clichés dont les données EXIFS révélaient qu’il travaillait systématiquement à 6400iso en mode priorité ouverture et à f2,8. Je ne vous fais pas un dessin, ça, c’est un mode automatique qui ne dit pas son nom et surtout c’est foutrement casse-gueule ! La négation d’un paramètre aussi fondamental que le diaphragme dénote d’une incompréhension voire de la non-assimilation d’une des bases de la photographie. Travailler à pleine ouverture de manière systématique, c’est non seulement idiot mais c’est aussi et surtout ne pas avoir compris à quoi sert un diaphragme, dans des notions aussi radicalement simples que la profondeur de champ pour ne citer que celle-là.
J’ai bien fait, ce jour-là de ne pas ruer dans les brancards, de ne pas monter dans ma tour quatre à quatre. Souvent, pas toujours mais parfois, lorsque mon œil est collé au viseur de mon reflex et que je choisis mon tandem vitesse diaphragme, si l’ouverture annonce deux huit j’ai l’impression d’entendre une petite voix dans ma tête. Deux huit ? C’est pas parce que… Oui, merci, ça va, je sais, j’ai bien retenu la leçon. Je fais partie des photographes afficionados des optiques à f2,8 qui se gardent bien de les utiliser à 2,8. D’ailleurs, finalement, cette règle est valable pour toutes les optiques. Essayez avec les vôtres. Vous verrez.
• Joëlle Léandre. Festival Désordre Brest (janvier 2013). 200mm, 3200iso, 1/80 à f4.
nicolas dit
Tout à fait d’accord ! Le 2.8 avec 3200/6400 ISO sur un D700 c’est le mode secours !
Mais j’imagine que le 24-120 F4 se comporte bien avec un stop supplémentaire en F5.6.
Quid de la série L F4 de canon ?
Si je comprends bien, on ferme toujours un stop de plus si possible quand on cherche une faible profondeur de champ. Je sais que cette phrase est contradictoire en soi 🙂
Merci pour l’article !
harvey dit
Il n’y a RIEN de systématique, dans la vie comme en photographie. Le conseil n’était pas de ne pas utiliser la pleine ouverture c’était surtout l’occasion de réfléchir. Là on parlait d’un 70-200 f2,8 mais avec un Nikkor 50mm f1,4 c’est la même chose, il vignette à f1,4 il devient bon à f2 et je le trouve très beau à f4. Le conseil de cet ami expert était judicieux mais ça n’interdit pas de bosser à pleine ouverture. Finalement il faut juste comprendre ce qu’on fait.
nicolas dit
Bien d’accord avec vous. Le 50 1.8G nikkor change radicalement à 2.8. A pleine ouverture, il est mou. Je n’aurais jamais cru le dire ni l’écrire avant de faire moi même un test.
On peut cependant espèrer qu’un 24-70 2.8 Nikkor se comporte mieux à pleine ouverture que son petit frère 50 1.8G 🙂 Vu le prix !!!
Gael dit
J’ai pris un 50mm 1.4g pas plus tard qu’avant hier.
Le piqué à 1.4 est vraiment plus que moyen, à 3.5 / 4, la qualité est monstrueuse rien que sur mon petit boitier.
Mais voila…l’effet de nouveauté de la grande profondeur de champ…le temps de s’en lasser et de comprendre que ce n’est pas adapté à toute les situations.
harvey dit
@Gael « la qualité est monstrueuse rien que sur mon petit boitier. » C’est par l’optique que passe la lumière 😉 alors je préfère privilégier une excellente optique sur un « petit boîtier » que l’inverse.
foutographe dit
Bonjour,
Merci pour l’article qui m’a permis d’apprendre bcp de choses sur cette question
Myriam dit
ben ouais !
C’est d’autant plus bète que 2.8 c’est deja assez fermé si on a été élevé au fixe. Donc pourquoi se coincer à 2.8 ? Mystère…
Bertrand dit
C’est drôle ça. Car J’ai eu ce débat avec un copain photographe qui ne comprenait pas pourquoi j’étais souvent à f4 avec un 80-200 2,8 🙂
harvey dit
@bertrand et ceci n’ayant aucun rapport avec cela, t’ai-je déjà dit Bertrand que je suis un grand fan de ta photo de profil ? Ça envoie putain, dans le fond et dans la forme.
Gael dit
…c’était pour souligner le fait que c’est quand même un objo très sympa… 😉
( j’ai bien lu et relu tes articles avant mes dernières acquisitions 😉 )
harvey dit
@Gael le Nikkor 50mm f1,4 c’est presque un caillou indispensable, à dire vrai. Celui que je mets dans ma poche à la dernière minute…
Bertrand dit
@harvey Merci pour el compliment. Faut vraiment être photographe pour l’aimer cette photo. La plupart des gens la déteste sauf… les photographes. Comme quoi.
Je l’ai même intitulée : Auto-destruction-portrait. C’est tout dire 🙂
Et comme j’ai envie de faire un lien avec le billet. J’était à f4,5. Mais avec le fameux 24-120 f4, l’exploit est minimisé, j’avoue. ah ah!
Les exif pour ceux qui serait de vilains petits curieux : http://www.flickr.com/photos/webab/8432320788/meta/in/photostream
harvey dit
@bertrand elle a un côté réaliste que j’aime beaucoup, une gueule à la Bukowski, non c’est vraiment bon. J’imagine qu’en noir et blanc elle aurait été encore plus violente, accentuant encore un peu plus le côté animal. Après la technique, perso je m’en fous. Je prends l’image en pleine gueule et ça suffit à mon bonheur !
Bertrand dit
Tu me donnes l’envie de la développer en N/B 😉 A suivre…
Maïeva Voyage dit
Bonjour Harvey,
Je suis d’accord sur le fond : ne pas utiliser systématiquement un objectif à pleine ouverture sous prétexte qu’il possède une très grande ouverture (2.8, 1.8,…).
Mais utiliser systématiquement un objectif à F4 (sous prétexte que c’est un 2.8), n’est-il pas au final aussi extrême que de l’utiliser à F2.8 (sous prétexte que c’est un 2.8) ?
« Vos images, qui seront bonnes à f2,8 seront bien meilleures à f4 » => pas sûr, ça dépend du message de chaque photo.
Bonne continuation 🙂
Maïeva Voyage
Thierry dit
Moi, je peux comprendre quelqu’un qui fait ses photos au 2.8. Ok, à f4, il aura un meilleur piqué, mais à 2.8, il a une profondeur de champs que je trouve qui fonctionne très bien pour du portrait. (Du moins en APS-C à 50mm)
Bertrand dit
Harvey n’a jamais dit le contraire…
Yannick dit
Hello cher(e)s tous,
Photographe amateur et passionné, j’avoue ne pas être insensible à ce post ainsi qu’à vos commentaires et surtout à cette fameuse phrase « Bon, c’est pas parce qu’on vous conçoit des optiques à f2,8 que vous devez les utiliser à f2,8 ! Hein ? » qui aujourd’hui me semble être une évidence.
Je bosse avec un D5000 (on est d’accord rien à voir avec un D4 surtout côté sensibilité) et mon 50mm f1.4 (qui me comble chaque jour) pour faire mes portraits.
Au début j’avais tendance à ouvrir à f1.4 pour une très faible profondeur de champ puis j’ai fini par comprendre qu’en achetant mon p’tit 50mmf1.4 … en réalité je me suis offert la liberté de pouvoir ouvrir jusqu’à f1.4 mais que je n’y était pas obligé et de ce fait je pouvais choisir comment construire plus finement mes compositions, mettre en avant mon réel sujet, pouvoir effacer (flouter) ce que je souhaite dans mon image … Donc je rejoins volontiers Maïeva dans son approche de la photo ! A f1.4 comme à f.4 ce sont des idées, une vision personnel que l’on cherche à mettre en image.
Il ne faut en aucun cas abusé d’un avantage, il faut savoir l’utiliser utiliser à bon escient.
Maintenant il est toujours bon de connaître l’aspect technique de notre matériel (mieux comprendre c’est mieux utiliser) … mon p’tit 50mm est très mou à f1.4 par contre à f4 c’est que du bonheur.
Sûr ce bonne journée à tous !!!
Mastaba dit
Certains fixes comme les 85/1.4G & 1.8G restent tout de même très bons à pleine ouverture, tout comme les gros 200/f2 & autres gros téléobjectifs, excellents dès la pleine ouverture (encore heureux vu leur prix et poids) le restent sur toute l’image.
Les zooms nikkor sont aussi très bons à pleine ouverture, au moins au centre (le 24-70/2.8 y surpasse le 50/1.4G).
Le 14-24/2.8 & le 70-200/2.8 sont aussi de bons exemples de la qualité qu’on peut avoir à f2.8.
Le nouveau 24-70/2.8 L II USM de Canon est encore meilleure, et j’espère vraiment qu’il y aura un nikkor correspondant.
C’est en celà que les tests DxO et benchmarks de mires, même si ils sont rébarbatifs, restents instructifs et utiles.
Ils permettent en effet de mesurer objectivement le comportement de ses objectifs en fonction de l’ouverture et pour les zooms de la focale.
Ce qui est tout de même bien plus simple, rapide et efficaçe que de procéder par tâtonnements.
Il ne faut pas non plus oublier dans l’équation que désormais les objectifs sont calculés et conçus pour laisser filer certains paramètres qui sont techniquement corrigeables en software, comme les correction d’objectif de DxO pour les distorsions ou le vignettage, au contraire du piqué.
Finalement c’est autant une question de choix (pour la profondeur de champs) que de nécessité en cas de faible lumière.
Tout comme on accepte de monter en ISO au prix d’une augmentation du bruit et d’une diminution de la dynamique, ouvrir plus n’est simplement qu’un compromis de plus à faire dans le trio ouverture/vitesse/iso.
Parceque la photo finalement ce n’est que des choix.
Le choix du sujet, du cadrage, de l’exposition, de la vitesse, de la profondeur de champs, du compromis iso/bruit.
Je suis on ne peut plus d’accord avec le fait que RIEN en photo n’est systématique et figé.
Ne jamais utiliser ses optiques f2.8 à f2.8 est finalement exactement comme rester en permanence à f2.8 + 6400ISO.
Ne jamais utiliser ses optiques f2.8 parceque la qualité dans les coin en pâtit est exactement comme rester à 100ISO avec un D4 parceque la dynamique et le bruit en pâtissent.
Des règles gravées dans le marbre sont intrinsèquement absurde lorsque l’essence même de la photo est basée sur des choix.