J’ai découvert le travail de Mathieu Ezan un peu par hasard, à dire vrai, alors que je cherchais à constituer une équipe de photographes de live (celle qui fut baptisée team109) pour mon cher festival des Vieilles Charrues l’an passé. J’ai déjà beaucoup de mal à supporter les photographes, d’une manière générale, alors pensez-donc ! En recruter plusieurs sur la thématique qui est la mienne au quotidien, je me disais que ça n’allait pas être de la tarte. D’autant que j’en ai vu passer, des images, des tonnes d’images de live qui ne me parlaient pas, qui ne me racontaient rien, aucune histoire, la platitude incarnée, l’électroencéphalogramme plat et surtout, surtout, des images totalement dénuées de musicalité. Eh ouais, c’est ça le truc quand tu photographies du live, il faut entendre la musique, il faut la sentir transpirer, qu’elle suinte, qu’elle te pète à la gueule comme un gros riff de Gibson SG mothefucker ! Mais je m’égare. Donc j’en étais là, à voir défiler des images pauvres et bancales, prêt à renoncer, à tout plaquer et à filer tout droit, direction Kaboul ou le Larzac pour y élever des chèvres, quand tout à coup un de mes indics lâcha un nom : « Ezan. Tu connais ? Mathieu Ezan. C’est un photographe de la nouvelle génération mais je crois qu’il va te plaire ! »
Nouvelle génération ? Décidément j’étais gâté. Je m’attendais au pire, j’imaginais le petit gars arrogant, perclus d’ego pour avoir chié un ou deux clichés potables, victime du syndrome plume dans l’cul qui touche bon nombre de photographes. Je suis donc allé voir les clichés de Mathieu Ezan sur son site internet. Vous dire que j’ai su tout de suite serait mentir, non au contraire, j’étais plus bougon que jamais, j’ai regardé les images passer sur l’écran, une voix intérieure me murmurant « Ah ! Faut avouer que c’est pas mal quand même, on dirait qu’il en a sous le pied le p’tit gars, hein ? » ce à quoi je lui répondais « Ta gueule ! » car je déteste être dérangé quand je travaille, voix intérieure ou pas. Il y avait des clichés de métal, des ambiances un peu hardcore, autant dire un genre beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît. Dans les concerts de métal, sur des gros festivals comme le Hellfest par exemple, les plans de feux sont souvent aussi éclectiques que monstrueux et il faut faire avec. Ce qui m’a épaté, c’est la technique de prise de vue, reflex et grand-angle qui condamne le photographe à aller au charbon, comprendre devant la scène. Choisir de shooter Iggy (Pop) en bord de scène par exemple, ça peut te permettre de ramener de la bonne image mais la contrepartie c’est que tu peux aussi te prendre un coup de tatane collection US Rangers bout métal dans la gueule et là, sayonara ! Mathieu Ezan, c’est son truc d’aller au charbon, son EOS 5D Mark III et son EF 16-35 f2,8L II (putain de caillou) en mains, mais attention, pas pour shooter bras tendu comme un benêt (d’ailleurs chacun sait que ça ne fonctionne pas comme ça) non, lui son truc c’est de patienter, d’attendre le moment. Plus tard il me confiera : « Je suis capable d’attendre LE moment pendant tout un concert. Je préfère ramener deux ou trois bonnes images que de mitrailler à tout va… » Bref. J’ai regardé ses images et pas que de concerts. Et là j’ai décroché mon téléphone.
La voix, c’est comme la bonne image, ça ne ment pas. Ce qui frappe, tout de suite avec Mathieu Ezan, c’est sa simplicité, son calme, son humilité, comme une paix apparente que rien ne semble pouvoir perturber. Mais dès qu’on parle d’images, dès qu’on prononce le mot magique « photographie » alors là on sent la passion qui s’exacerbe, cette envie pressante d’aller en découdre. Mathieu ne m’a pas fait le coup du « la photo, tu vois coco, je suis tombé dedans quand j’étais tout petit, c’est ma vie quoi ! » Non. Son approche a été plus raisonnée, presque un coup du hasard. D’abord étudiant en arts graphiques, virtuose photoshopesque, il est presque venu à la photo comme ça, histoire d’avoir de la matière à travailler. Et puis l’image, le cadrage, le regard, la révélation. « La photo ? C’est venu tout seul, je ne m’en suis même pas aperçu ! » Eh ouais, en général c’est même à ça qu’on reconnaît les photographes, les bons je veux dire. Les images de live ramenées par Mathieu ne se contentent pas d’être belles, il y a un regard plein d’ironie et d’amusement qui transpire. J’ai proposé à Mathieu de venir aux Charrues, de rejoindre la team109 et il a dit oui tout de suite. La suite de l’histoire, on la connait. Il nous a ramené des images king size, mes deux favorites étant celles de Triggerfinger et Dope D.O.D. entre autres, le tout avec une désinvolture sans nom et ceux qui ont eu le privilège de le voir dérsuher en direct live pendant les Charrues ne me contrediront pas. Le tout sans jamais que son sourire et son enthousiasme ne quittent son visage, pendant quatre jours, ce qui ne gâche rien.
Ouais. Je hais les photographes, surtout les bons. Mathieu Ezan a largement sa place dans mon top ten et pas que pour ses images capturées en live. Il est aussi un excellent portraitiste et collabore avec de nombreux groupes. Il y a quelques images que j’aurais aimé faire comme le portrait de The Kills, celui de Jospeh Arthur, merveilleux black and white, John Five dans son canapé bleu. Et là on se surprend à imaginer des sessions longues comme le bras et non. The Kills c’est tapé sur un parking après un concert, vite fait à la lueur d’un lampadaire. Idem pour Jospeh Arthur ou John Five, du one shot. Le reste c’est une question d’œil, de regard, de captation de l’instant. Oui, de talent aussi. Parfois Mathieu prend son temps, met en scène et là encore le résultat est dans la boîte. On regarde la photo de Merge immobile, entouré d’une foule qui ondule et on reste subjugué. On chercherait bien à savoir comment il s’y est pris pour obtenir un cliché de ce calibre mais finalement on se dit qu’on se fout du flacon tant qu’on a l’ivresse. Je regarde ce cliché et je prends l’insolence du talent de Mathieu Ezan en pleine gueule. J’ai poussé la curiosité encore plus loin et j’ai regardé ses photos de mariage. Oui, parce que Mathieu fait aussi des photos de mariage. Étrange pour un photographe de rock, non ? « Au début, quand j’ai commencé la photo de mariage, je montrais mes photos de live aux futurs mariés ! » me disait Mathieu. Plutôt étonnant, non ? « En fait, c’était d’abord une façon de leur montrer que je savais gérer les conditions de lumières difficiles… » avoue-t-il en souriant. C’est dingue, on retrouve la même dynamique dans certains clichés de mariage que dans tes clichés de live ! « Oui. Le truc qui me dérange le plus, c’est quand je vois dans le regard des mariés qu’ils sentent la présence du photographe… » Il y a la même impertinence, la même fougue, la même passion, dans les clichés de mariage signés Ezan. Le regard empli d’amour du futur marié à sa future moitié, la bande de potes aux chaussettes roses, les prises de vue close-up à très grand-angle, des images aux nuances parfois vintage et toujours cet indubitable talent pour capter l’instant. Et puis, évidemment, un post-traitement soigné mais ça, ça coule de source et ça en devient presque accessoire.
Aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années. Mathieu Ezan illustre parfaitement l’adage. J’ai plein de beaux souvenirs avec ce photographe dans ma besace, des sourires, oui beaucoup de sourires, une petite fierté aussi quand je vois ce que Mathieu nous a ramené des Vieilles Charrues cuvée 2012. Je garde l’image d’un photographe heureux, sur la scène Kerouac, pendant le concert de Bloc Party, son EOS à la main, le regard scrutant la scène à la recherche de cet instant précieux. Je repense à ma grand-mère qui me répétait souvent que les gens heureux n’ont pas d’histoire. Elle se trompait. Les gens heureux ont une histoire, ils ont même des histoires. Sur scène, à la sortie d’un concert sous un lampadaire, dans une petite église, sur un canapé bleu, à la gare Saint Lazare ou sur la plaine de Kerampuilh. Et en dénominateur commun, ce photographe discret et élégant auquel aucun moment heureux n’échappe.
• clichés : Dope D.O.D, Iggy Pop, Merge, photo de mariage, crédit photos Mathieu EZAN
• voir le site de Mathieu Ezan
• voir la page Facebook de Mathieu Ezan et le suivre sur Twitter
• voir les réponses de Mathieu Ezan au questionnaire de Shots
Romain FAUCHER dit
Excellent 🙂
Je ne connaissais pas Mr Ezan, c’est chose faites, merci pour cette découverte !
Nikolas dit
un portrait parfaitement détailler sur Mathieu, il est tel que décrit dans cet article, une personne a connaitre avec une grande sympathie et sans prise de tête. des bons souvenirs pour ma part pour l’avoir plusieurs fois côtoyer dans la fosse.
GRUMEAU Simon dit
excellent portrait !
Un photographe qui n’hésite pas à venir shooter de jeunes groupes pendant une fête de la musique sous une bache digne d’une foire à la saucisse ! Et regardez le résultat.
Ce mec à des yeux en or.
http://www.ffrband.com/site/photos
harvey dit
Et il a le cœur qui va avec les yeux.
Julie Lefort dit
Alors là donc j’apprend que le mec qui fait des photos de concert absolument parfaites, et dont je suis sur-fan depuis des années fait aussi du mariage, et que bien sur là aussi c’est à tomber…
Je suis donc encore plus sur-fan.
harvey dit
@julie eh ouais, te voilà supra-fan 🙂 parce qu’il le vaut bien