Je vois passer un article sur un site people à propos de photographies de Beyoncé, prises lors de sa prestation au récent superbowl où la star américaine n’est pas à son avantage, pour reprendre un propos politiquement correct couramment usité outre-atlantique. Non en fait, le mot utilisé, la terminologie originale in english in the text, qui n’est pas sans me faire sourire, qualifie les clichés de « unflattering », en clair peu flatteuses. Se posent alors de nombreuses questions. Quelle est la responsabilité du photographe ? Peut-on tout montrer ? Un artiste ou une production peuvent-il invoquer un droit de retrait de clichés qui ne véhiculeraient pas l’image souhaitée ?
J’ai dans ma besace de nombreux souvenirs sur le sujet. Le plus récent concerne un artiste français avec qui j’ai un relationnel très cordial, c’est la raison pour laquelle je tairai son nom. J’ai eu l’occasion de le photographier sur scène et en dehors de la scène, à sa demande par ailleurs, ce que je fais assez rarement. Il avait souhaité voir les clichés sur l’écran LCD, et j’avais accepté de lui montrer une preview, ce que je ne fais là, pour le coup, radicalement jamais et si j’ai un conseil à vous donner, ne faites jamais ça. Comme le zicos était d’une humeur de chien, il m’avait sévèrement taclé en hénnissant que sur mes clichés il avait une tête de vieux. Comme il ne faut pas trop me chercher, j’avais répliqué sèchement : « si tu as une tête de vieux, c’est peut-être parce que tu l’es ! Vieux ? » Ambiance. Fin de l’histoire. Les photos ont été publiées et le gars en question, lorsqu’il m’a revu, six mois plus tard, s’est épanché sur la qualité de mes clichés. Pas rancunier mais un peu chiant quand même. Un bon photographe ne montre que les photos qu’il aime, c’est même à ça qu’on le reconnaît. C’est pour ça que je déteste devoir soumettre mes clichés à l’approbation d’une prod, être jugé par des gens qui n’ont aucune esthétique, ça me fait doucement marrer. Bien sûr il y a des exceptions. Quand la prod d’Étienne Daho valide treize clichés sur les vingt que je lui présente, je prends la mesure, je savoure. En revanche quand une manageuse fait le tri des mes clichés en six secondes montre en main, en sélectionnant quatre et en me disant « ne vous plaignez pas, habituellement la plupart des clichés passent au classeur américain* ! » J’ai juste envie de lui foutre mon D4 dans la gueule, en la traitant de connasse, ce que je ne fais pas parce que je suis un gentleman et que mon D4 vaut mieux que ça. Alors pour répondre à la question de savoir si une production peut invoquer un droit de retrait, la réponse est oui. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder quelques clichés de la pauvre Beyoncé au superbowl et de se dire qu’elle mérite mieux que ça.
Mais j’en reviens à la responsabilité du photographe, peut-être simplement lié à son talent ? Peut-on tout montrer ? Bien sûr, tant que c’est bon, tout va bien. Je me souviens d’une discussion de fin de soirée avec deux artistes en sirotant ma limonade d’après concert. Le premier disant au second : « le talent d’Hervé, finalement, c’est de me montrer toujours plus beau que je ne le suis en réalité ! » Beau ? Comme disait ce cher Oscar Wilde (qui adorait se faire photographier), la beauté est dans l’œil de celui qui regarde. Récemment, un autre artiste m’a dit : « Toi, tu as capté ma gueule… » Non. L’histoire n’est pas de montrer les gens plus beaux qu’ils ne le sont ou de capter leur gueule. Tout le truc, finalement, tient dans ce qu’on montre. Un cadrage, un instant, un regard, la naissance d’un sourire, tout cela c’est le travail d’avant ce moment décisif ou pas de l’index qui appuie sur ce putain de déclencheur. Souvent dans l’urgence, le bruit, la fureur. Le travail c’est aussi après, dans la quiétude de la post-prod et le verdict. La responsabilité du photographe, elle est là, maintenant et son talent aussi. Savoir shooter, c’est une chose, mais savoir choisir ce qu’on va montrer, ça… C’est l’éternel adage « montre-moi les clichés que tu montres et je te dirai quel photographe tu es… » L’insulte suprême, pour n’importe quel photographe, c’est justement de réaliser que son modèle s’est senti insulté, blessé, sali, caricaturé, enlaidi. Pire encore. Voir ses clichés qualifiés de unflattering, c’est la loose. Avec deux O.
• photo : Mademoiselle Jeanne Moreau et Etienne Daho au Quartz, scène nationale de Brest, novembre 2010. Crédit photo : Hervé LE GALL photographe
Laurent Simon (@crazyfrenchguy) dit
On en revient toujours à la question du respect des gens, au final. Dans les deux sens.
harvey dit
On est d’accord. Le respect passe par le droit à l’image.
Fabrice Drevon dit
Tellement vrai tout cela. (J’en prends pour mon grade !)
Même d’une certaine manière nous sommes tous conscient de l’importance de ce choix, ton article Hervé recadre (il te plaît ce mot hein !) et fera parti de ces billets que tout photographe en devenir devra lire & relire régulièrement.
Merci !
Olivier dit
Tellement vrai… Bravo pour cette mise au point que trop de « photographes » (ou « faux-tographes » ?) oublient.