Vous avez vu « La Grande vadrouille » avec un Louis de Funès au sommet de son art ? Dans une scène désormais culte, Stanislas Lefort, chef d’orchestre à l’opéra de Paris dirige une répétition de Berlioz. À l’issue de la répétition, il complimente ses musiciens d’un « Merci Messieurs. C’était très bien ! » avant de s’en prendre à un musicien qu’il qualifie de moyen, puis de très moyen avant de conclure que finalement c’était mauvais, très mauvais. De Funès et Bourvil me font toujours beaucoup rire dans cette comédie populaire à la française. Et puis cette propension à se dire qu’on a fait du bon travail mais qu’on aurait pu faire mieux pour finalement en arriver à la conclusion qu’on a sans doute chié son taff et qu’on va finir sa vie dans le fin fond de l’Afghanistan avec un chapeau grotesque sur la tête à élever des chèvres, ça, je vais vous dire, c’est tout à fait mon truc. C’était d’ailleurs un peu mon état d’esprit arrivé à mi-chemin du festival des Vieilles Charrues qui dure, je vous le rappelle, quatre jours. À la fin du premier jour tu es déjà fatigué et tu te demandes ce que tu es venu foutre dans cette galère pour la neuvième année consécutive et le vendredi soir tu n’as déjà tellement plus de pieds que tu es prêt à rendre les armes. Chaque matin tu vides tes cartes sur tes disques durs et à midi tu repars au combat. Et puis tu prends le rythme et ton corps s’habitue. Finalement, tu arrives le dimanche soir, l’angoisse nouée au ventre parce que tu te dis que merde, fait chier, c’est déjà fini. Petit retour nostalgique sur quatre jours de pure magie.
CharruesLand. J’aurais tant à dire sur ce festival, les zicos, les bénévoles, l’organisation, le public. Cette année, j’avais pris comme postulat de privilégier l’humain et franchement, j’ai été gâté. Les Charrues, c’est un concentré d’humanité. Ici tu croises des festivaliers qui sont venus faire la fête pendant quatre jours entre potes, la prog, les artistes, pour eux c’est du bla bla, d’ailleurs ils achètent leur pass 4 jours à Noël, comme disait le Francis, avé son accent d’Astafort « aux Charrues, l’important c’est pas les artistes c’est les Charrues ». Ils sont incroyables ces festivaliers. Tu leur dis « super héros » et ça leur suffit. J’ai vu de tout, des costumes chiadés au grand portnawak mais c’est pas grave, l’important c’est l’esprit. J’ai vu deux adorables demoiselles dans leur fauteuil (Super roulettes), j’ai passé du temps sur la plateforme H où j’ai partagé des moments délicieux avec mes potes bénévoles, ma copine R’née et mon pote Mathieu dans sa jolie joëlette carénée de course, et rien que son sourire, ça valait le détour. Et puis il y a eu les concerts.
Finalement, la photo comme disait Forrest, c’est comme la vie et une boîte de chocolats, tu ne sais jamais sur quoi tu vas tomber. Tu te promènes pépère sur la plaine, tu entends de la musique, tu t’approches, scène des Jeunes Charrues, c’est un groupe du coin qui joue, tu montres ton pass, tu entres dans le pit, clic-clac c’est dans la boîte et tu tapes là un de tes meilleurs clichés du festival. Idem sur Grall où je photographie mes potes de Im Takt. En live, tu ne décides pas de l’image, c’est l’instant qui décide pour toi. Je croise Baxter Dury, je suis dans la foule avec un Nikkor 300mm f2,8 (putain d’optique) monté sur mon Nikon D4 (putain de reflex) et je touche du doigt la perfection définitive. Bon, bien sûr, ça ne marche pas à tous les coups. Parfois tu te demandes même ce que tu es venu foutre là et je ne dis pas ça pour les deux Brigitte, qui sont à la chanson française ce que Marc Lévy est à la littérature. Enfin, les Charrues c’est comme le Sushi bar, t’es pas non plus obligé de tout manger. Il y a les plats que tu attends, comme Sallie Ford, Keziah Jones ou Kasabian où tu te dis que ça va être un régal. Pendant Gossip je suis à la fin de mon parcours, épuisé, mes avants-bras ont du mal à tenir le D4 et son modeste 70-200, je demande à mes potes de la fosse la direction de Kaboul tellement que je préfèrerais aller élever des chèvres, que j’ai l’impression d’avoir tout chié et d’être le dernier des mauvais et la suite va me prouver que finalement, non. Il y a aussi de divines surprises comme l’Ensemble Matheus dirigé par un digne héritier de Wolfgang « fucking » Mozart, un Spinosi fada, un allumé de la corde raide, un motherfucker de l’adagio qui va flamber Kerampuilh avec son alto et son regard de killer. Une cantatrice dont la voix envahit la plaine un dimanche en début d’après-midi moi je vous le dis, il fallait être singulièrement couillu pour oser un truc pareil. Et ça a fonctionné, à merveille. Oui c’est ça, Monsieur Spinosi. Vous fûtes merveilleux et on se plait à penser qu’il en faudrait plein, des barjots comme vous, pour amener la musique « classique » partout et de préférence là où on ne l’attend pas. Matheus ? C’était le concert le plus baroque and roll de cette édition 2012.
Et là vous me dites et Bob ? Bob l’éponge fut libéré et il vole désormais vers de nouvelles aventures. Quant à Bob Dylan, le sujet est clos. Ça restera pour moi un grand souvenir que ce concert de Dylan, à plus d’un titre. D’abord parce que j’ai shooté dans des conditions assez cocasses, un Nikkor 200-400 monté sur mon D4 et un monopode Manfrotto, assis sur une chaise de la plateforme H avec mon gang de copines, une couverture de laine sur la tête pour éviter le soleil qui frappait pile-poil dans mon œil gauche (celui qui vise). Bref. Je devais ramener des images, il était hors de question de zapper un moment pareil, je l’ai fait, merci R’née, merci Dan et Ronan et toute l’équipe, on s’est marrés comme des baleines et on a vécu un moment inoubliable. Après, qu’on ait mis deux minutes à reconnaître Highway 61 revisited, que Bob chantait avec une voix de bluesman fatigué, qu’il n’ait pas trop soigné son entrée en scène ou sa sortie et que ceci-celà, franchement… On s’en balance. On a vu Dylan comme d’autres ont vu le loup ou le messie et je dois encore me pincer, aujourd’hui, pour réaliser que Monsieur Bob Dylan fait partie de mon tableau de chasse, entre Peter Gabriel et Bruce Springsteen. Excusez du peu.
Magique. Il n’y a pas d’autres mots. Magique et humain, c’est ça les Vieilles Charrues. L’occasion de retrouver mes potes, chaque année, de se dire que c’est dur, que c’est la dernière fois et puis de regarder les images, de se dire que non, finalement c’est pas si mauvais que ça, que j’ai bien fait de venir, que j’aurais certes pu faire mieux, que je pourrai toujours faire mieux et que ça sera pour la prochaine fois. Alors je me botte le cul, je me donne rendez-vous l’année prochaine, pour une dixième édition qui sera sans doute encore plus belle que la précédente. Et comme chaque année, alors que l’été se déroule paisiblement, j’attends que revienne septembre. Et dès l’automne venu, je compterai les jours qui me séparent des retrouvailles avec ma bande de frères et de cousins à la mode de Bretagne. Et de la nouvelle édition des Vieilles Charrues. Encore.
• note de l’auteur : ce texte a été écrit quelques jours après les Vieilles Charrues et avant le décès de Jean-Philippe QUIGNON, co-Président du festival des Vieilles Charrues à qui je dédie l’ensemble de mes clichés de l’édition 2012, en particulier ceux de l’Ensemble Matheus, un concert qu’il portait tout spécialement dans son cœur.
• merci spécial à Nikon Pro services et à Nikon France pour leur soutien indéfectible.
• voir les photos des concerts des Vieilles Charrues 2012 sur Cinquième nuit