Je connais Valier depuis une paye. Il y a pas loin de dix ans, j’avais déjà croisé sa silhouette et sa gueule d’indien, de guerrier apache réfugié ici, au début du monde. Je me souviens d’un concert où il avait chanté torse nu, petites bésicles rondes sur le nez, une dégaine de dingue et déjà à l’époque j’avais été interpellé par ce personnage étrange et atypique. Et puis Valier a disparu de la circulation, réapparaissant de temps à autre, ici pour une collaboration, là pour un concert hommage à un vieux guerrier tombé sans les honneurs. Et puis, il y a quelques jours de cela, j’ai eu vent de la bonne nouvelle, Valier sortait un album, le second, et pour l’occasion allait donner un concert à la Carène, la Smac de Brest. J’ai pris le premier titre « les femmes et l’alcool » en pleine gueule, une gifle, sèche, violente, de celle qui te réveille, intense. Quatre minutes quinze de vrai bonheur, un long phrasé, cocktail enivrant comme l’abus d’alcool, heureux comme le sourire d’une femme qui n’aime que toi, désespérant quand elle te quitte. Valier ne fait pas du blues, d’ailleurs Valier ça ne ressemble à rien, même si, en tendant l’oreille, on perçoit un univers proche de Bashung dans les mots, Gainsbourg dans l’attitude, Burger pour la voix, avec un zeste de Brel pour cette désinvolture joyeuse. Et puis, et puis Miossec, aussi, évidemment, à tel point que pendant le concert, alors que j’avais dégainé mon colt et que je faisais feu de tout bois, cow-boy solitaire traquant l’indien sur la plaine, je caressais le doux rêve de voir Miossec débouler pour reprendre avec Valier « Cigarettes sur cigarettes » un titre somptueux, sur un tempo de valse, comme un retour à la chanson réaliste, les guinguettes du temps d’avant, de Damia, de Fréhel ou de Berthe Silva (si chère au coeur de Christophe Miossec, justement), et des mots, des mots assénés avec une douceur cynique : cigarette sur cigarette passe la vie passe le temps et jamais je ne m’arrête pas même l’espace d’un instant de fumer ma cigarette de la fumer obstinément. La musique et les mots de Valier viennent d’un autre temps, de pays lointains, de l’époque des clandés, des bars louches, de la mauvaise dope et des alcools frelatés, des maisons closes et des putes derrière le zinc. On l’imagine bien, lui, posé là, entre deux pipes d’opium, croisant Rimbaud sur la route des guerriers, grattant des mots, fredonnant des mélodies. Valier est dans son paradis perdu. Ite missa est. L’âme de Valier, son secret aussi, sont là, cachés au cœur des mots, justement. Découvrir un songwriter d’exception, c’est comme réussir un bon cliché pour un photographe. C’est un instant magique, durable, définitif. Éternel.
En deux titres, ce soir-là, l’affaire était dans le sac, les cannes pliées, il n’y avait plus qu’à laisser aller et à ne pas oublier de faire des clichés, quand même. La surprise fut radicalement divine, de voir Valier en live, des zicos autour de lui, avec notamment aux claviers (puis à la guitare) une vieille connaissance, David Crozon lui-même apportant une touche de candeur et quelques jolies envolées, un soupçon de ce son pop british comme il l’affectionne. Résultat ? Sur scène ça claque et on se laisse finalement emporter par les paradis perdus de Valier, énergique et visiblement heureux d’être là, malgré la joyeuse désespérance des mots : « à vingt ans c’est un jeu mais à trente tout est joué tourné dans un cercle vicieux complètement désespéré… » Valier est-il à l’image des hommes de mauvaise vie qui « fouillent de leur lance les trous les plus divers, ils rentrent en décadence ils mordent des vipères » ? Non. Résolument non. Après un concert trop court, beaucoup trop court (mais c’est la régle de la première partie), je suis allé acheter l’album et alors que je m’apprêtais à repartir vers d’autres aventures, j’ai croisé l’apache. On a échangé deux ou trois mots banals, guère plus. Le lendemain du concert, j’ai publié une photo sur ma page Facebook. Valier, passant par là à simplement dit, avec un zeste d’ironie mâtiné de ce cynisme qui n’appartient qu’à lui : « On en viendrait presque à penser que ce concert était intense ». On s’était compris, la boucle était bouclée. Les vrais découvertes sont tellement rares, les rencontres aussi, qu’il faut les préserver mais aussi les partager avec le plus grand nombre. « Vers les cimes neigeuses lorgent les hommes de mauvaise vie ». Il s’appelle Valier, retenez son nom. Merci l’indien. Putain de concert.