Je viens de développer coup sur coup deux pellicules Kodak TriX. Difficile de traduire l’émotion et le plaisir que cet acte procure. C’est comme un témoignage, une gratitude au passé. Et disons-le clairement, un passage quasi-obligatoire si l’envie vous prend de tâter un peu des cristaux d’argent. D’abord parce que le développement de la pellicule c’est le prolongement naturel de l’acte photographique. C’est un ressenti, comme une osmose chimique avec ses clichés, c’est prolonger la naissance d’une image, aller au terme, au bout du rêve. L’image que vous avez conçue dans votre viseur, vous allez contribuer à la révéler, que rêver de mieux ? Ensuite parce que techniquement c’est à la portée de tout le monde. Il faut juste un peu de patience et de technique que vous apprendrez à maîtriser. Enfin et surtout ! Parce que faire soi-même, ça a deux avantages majeurs. D’une, vous savez ce que vous faites. Si vous avez bien fait, vous pouvez le reproduire et si ça ne vous plaît pas, vous pouvez toujours améliorer. De deux, quand on fait soi-même ça coûte toujours moins cher que lorsqu’on le fait faire par un autre ! Mieux et moins cher. De vous à moi, je m’étais renseigné sur les tarifs de développement des laboratoires « professionnels ». Pour développer une pellicule TriX 400, l’addition était plutôt salée. Entre le prix du développement lui-même et la réalisation de clichés basses déf livrés sur CD (14,50€), les frais de port aller-retour (12€) j’arrivais à un ticket de 26,50€. Pas donné le prix du rêve, hein ? Alors qu’à y regarder de plus près, il faut à tout casser une demi-heure pour développer une pelloche avec un coût de revient carrément rikiki. Le calcul est vite fait et tient en trois lettres chères au coeur de nos amis anglo-saxons. DIY. Do it yourself ! Non seulement c’est amusant, c’est de surcroît gratifiant et ça coûte vraiment pas grand chose. Juste le temps que vous allez y passer. Et au risque de me répéter, la grande vertu de l’argentique c’est justement ça. Le temps. Alors, vous êtes prêts ? Suivez le guide !
• De la méthode !
Comme disait ce cher René (Descartes hein ? Pas le mari de la Céline), le secret réside dans la méthode. Soyez bien organisé et vous verrez, ça va être tout de suite beaucoup plus facile ! En gros pour développer une pellicule argentique, vous avez besoin de quoi ? Une cuve, des produits de traitement (révélateur, bain d’arrêt, fixateur, lavage et rinçage), quelques bidons, un thermomètre et un point d’eau. Pas franchement sorcier, donc. C’est souvent la cuisine qui sert de laboratoire provisoire, le temps du développement. Prenez soin d’éloigner les produits alimentaires, il s’agirait de ne pas confondre Nesquick et Lavaquick. Utilisez du matériel dédié au développement : entonnoir, torchons, éponge, histoire d’éviter que votre yaourt n’ait un goût de révélateur. J’ai une grande mallette en alu dans laquelle je stocke tout mon matériel qui est ainsi à l’abri de l’air, de la lumière et des prédateurs (mes chats). En gros, vous allez avoir besoin de certains produits que vous n’utiliserez qu’une fois, c’est ce qu’on appelle le bain perdu, c’est le cas du révélateur Kodak D76, du produit de lavage Lavaquick (Tetenal) et du produit de rinçage Photo Flo (Kodak). En revanche d’autres produits sont réutilisables plusieurs fois, comme le bain d’arrêt Tetenal Indicet ou le fixateur Kodak Fixer. L’idéal est de positionner vos produits de traitement sur la table de travail, de gauche à droite, prêts à être utilisés :
• le révélateur (à gauche, pastille verte), dont vous allez préparer une dose dans un broc gradué. Si votre cuve fait 500ml, il suffit de mélanger 250ml de révélateur D76 à 250ml d’eau, de bien mélanger et de veiller à ce que le tout soit à une température de 20° c. Au besoin vous utiliserez un bain-marie : une grande bassine, de l’eau à bonne température et vos bouteilles ou bidons dans la bassine.
• le bain d’arrêt (pastille orange) est prêt dans sa bouteille accordéon. Devant lui une bassine en plastique vide est disponible pour récupérer le liquide après le traitement.
• le fixateur (pastille rouge) est aussi en attente. Après utilisation, il sera aussi récupéré dans sa bassine.
• le produit de lavage Lavaquick est un produit qui se jette après chaque utilisation. Une bouteille de jus de fruits en PVC de récupération permet de faire la préparation (20ml de Lavaquick pour 430ml d’eau à 20° c).
• le produit de rinçage Photo-Flo est également un bain perdu. J’utilise une éprouvette graduée et un compte-gouttes pour le préparer à raison de 10 gouttes pour 500ml d’eau à 20° c. Un conseil évitez de trop remuer, Photo-Flo a tendance à mousser !
Voilà. Vos produits n’attendent que vous. Comme le processus de développement se fait d’une traite, le fait d’avoir tous les éléments sous la main, de savoir où se trouve chaque produit, dans l’ordre logique, va vous faciliter grandement la tâche dans l’application des quatre traitements successifs. Et encore une fois, soyez zen et prenez votre temps. Vous avez logé votre film est dans votre cuve de développement dans le noir complet ou bien comme moi vous utilisez une cuve Jobo Daylight, lorsque le film est à l’abri dans la cuve, vous êtes prêt.
• Le développement du film négatif en cinq étapes.
1- Le révélateur
C’est la première phase du développement et autant le dire clairement, c’est là où tout se joue. Vous devez faire tremper votre film négatif pendant la durée indiquée par le fabriquant du révélateur pour le film que vous utilisez. Dans mon cas, j’utilise le révélateur Kodak D76 pour une pellicule Kodak TriX 400 poussée à 1600iso. Le temps de développement conseillé par Kodak est de 13 minutes trente dans un révélateur à 20° c. Le fait d’utiliser un révélateur à bain perdu est une excellente méthode qui permet d’avoir une constance dans les résultats obtenus, pour un prix de revient modique (environ 0,48€ par film).
Ôtez le gros bouchon orange de votre cuve. Versez la dose de révélateur dans la cuve, d’une traite, remettez le bouchon. Déclenchez le chronomètre (celui de iPhone est parfait) et agitez votre cuve en la retournant pendant trente secondes. Attention. Vous ne préparez pas un cocktail, inutile de secouer la cuve comme si vous étiez en train de préparer un punch coco ! Reposez la cuve en la tapant légèrement sur la table (ou sur un tasseau en bois disposé sur votre table), ce qui a pour effet de dégager les bulles d’air s’il y en a. Ensuite, toutes les trente secondes, effectuez six ou sept retournements de la cuve rapidement, pendant cinq secondes. Vous verrez, vous allez rapidement trouver le rythme ! En n’oubliant pas de taper le cul de la cuve après chaque séance de retournements. Le temps passe. Vous pouvez mettre à profit les tranches de repos de la cuve pour préparer votre bouteille de bain d’arrêt.
Treize minutes trente, pas plus. Enlevez le bouchon de la cuve et videz la dans l’évier. La vidange ne dure guère plus de cinq à six secondes, c’est étudié pour ! Il est temps de passer au bain d’arrêt.
2- Le bain d’arrêt
Dans votre cuve vidée de son révélateur, remplissez avec du bain d’arrêt et remettez le bouchon. C’est le bain d’arrêt qui siffle la fin du jeu au révélateur, qui interrompt son processus. À partir de maintenant tout est plus calme. Pendant une vingtaine de secondes, tournez la cuve haut-bas à raison d’un retournement toutes les deux secondes. Quand c’est fait, enlevez le bouchon de la cuve et récupérez le bain d’arrêt dans la bassine prévue à cet effet.
3- Le fixateur
Le fixateur va dissoudre les cristaux d’argent non-développés. Le négatif devient transparent sur les zones non exposées et prend son aspect définitif. Lorsque vous avez rempli la cuve de fixateur et mis le bouchon en place, déclenchez le chronomètre. Kodak indique une durée de fixation de cinq à dix minutes, pour ma part je fixe pendant sept minutes environ. Du côté agitation, c’est le même tempo que pour le révélateur, le stress en moins. On agite pendant les trente première secondes, une petite tape sur le cul pour les bulles d’air, puis six ou sept retournements toutes les trente secondes pendant cinq secondes, avec la petite tape au bout des cinq secondes. Facile. Quand c’est fait, on récupère le produit dans sa bassine et on est content parce que c’est presque fini.
4- Le lavage
Il faut laver le film soigneusement et le rincer abondamment à l’eau claire, toujours à température de 20° c. Posez la cuve (toujours fermée) dans l’évier, faites couler l’eau dans la cuve par le trou central pendant deux minutes. Quand c’est fait, videz la cuve de l’excédent d’eau et remplissez avec la préparation Lavaquick. Ce produit est sensé amélioré la qualité du lavage du film et réduire le temps de traitement. Lorsque votre cuve est remplie, remettez le bouchon et agitez la cuve pendant deux minutes sans interruption. Puis, purgez la préparation Lavaquick et faites à nouveau couler de l’eau claire dans la cuve. Si vous disposez d’une cuve Jobo et du système Cascade, c’est le moment de l’utiliser, le lavage du film (pendant cinq bonnes minutes) n’en sera que meilleur.
5- Le rinçage
Versez votre préparation Photo-Flo dans votre cuve. Fermez avec le bouchon et tournez tranquillement la cuve haut et bas pendant trente secondes. Un conseil, ne secouez pas trop fortement la cuve car Photo-Flo a tendance à mousser. Voilà, pour le développement c’est fini. Vous voyez c’était pas sorcier. D’autant que l’instant magique, le vrai, c’est maintenant.
• Un soupçon de magie.
Fébrilement, vous ouvrez la cuve et là, il se montre enfin à vos yeux. En négatif les images que vous avez créées apparaissent sur le film. Même si le procédé chimique est connu, on ne peut s’empêcher d’être émerveillé. Vite, vous le secouez délicatement, vous attachez deux pinces lestées à chaque extrémité du film et vous le suspendez à l’abri de la poussière, au calme. Vous le laissez ainsi sécher tranquillement pendant quelques heures et puis, finalement, vous le découpez délicatement bandes de six vues que vous rangez soigneusement dans des pochettes de papier cristal. Maintenant, deux chemins s’offrent à vous. Quelques uns d’entre vous vont poursuivre le chemin et continuer l’aventure vers les joies de l’agrandisseur et les papiers barytés. D’autres (c’est mon cas), vont numériser les négatifs en utilisant un scanner à film. Qu’importe. Le moment où vous découvrez l’image, enfin, ce moment là n’appartient qu’à vous. Le négatif vous dévoile alors tous ses secrets. Il est intemporel. Mieux encore, il demeure contemporain et il est incroyablement moderne.
• cliché : Fredrika Stahl au Run ar Puñs en avril 2011. Canon New F1, Canon FD 55mm f1,2 SSC, Kodak TriX 400.
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Fabrice Drevon dit
Génial Hervé, j’allais justement te suggérer pareil article, vu que je viens de finir ma 1ère trix et comptais me lancer dans le developpement.
Grand Merci !
harvey dit
@Fabrice welcome ! Là je viens de finir le scan d’une pelloche Fuji Neopan 400 oubliée depuis quatre ans au fond d’un sac. J’étais intrigué par son contenu, je l’ai développée hier soir. Des clichés du maire de Brest en 2007 quand j’avais signé la photo de son affiche électorale (il avait été élu). Dommage, il y a un cliché terrible, genre « force tranquille ». L’argentique, c’est carrément un autre monde. Tu vas voir, tu vas adorer ! Quelques conseils vraiment importants : de la méthode, la température constante autour de 20° (si le thermomètre dit 22 c’est pas la mort), l’agitation comme décrite. Une fois la phase révélation passée (13′ 30″ donc), c’est plus cool. Et à la toute fin, quand tu découvres le résultat, c’est magique. Vraiment ! Un truc de gamin qui ne m’a jamais quitté, en fait. Enjoy !
A440 dit
deux articles en 4 jours: motivé le harvey…j’aurais ptet dû raconter mes anecdotes plutôt sous ce chapitre….va falloir suivre..
ce qui faut se dire c’est que le gros travail de Capture NX 2 ou autres logiciel se fait….dans la cuve!!!sous votre contrôle(m.d.r il a dit 20 constant!) donc en jouant sur la température, le temps (le révélateur continue d’agir pendant le vidage et tant que le bains d’arrêt n’est pas mis dedans)la nature du film, la concentration du révélateur…pour le résultat choisi.
Mais ça tout le monde le sait!!!….Plait-il?comme disait ma grand-mère à l’époque.
Le 22° a du compenser le vieillissement du film….
je conseille la mème tempé pour tous les bains sinon gare a la réticulation!(oui je sais c’est joli aussi et puis ça anticipe le charmant visage de votre petite amie mais pas sûr qu’elle le reste…amie)
toto dit
Ces produits déversés dans l’évier sont bon pour la croissance des algues vertes ? ;o)
harvey dit
@toto c’est surtout le fixateur qui pose problème. Et toi, tu fais comment ? 😉
A440 dit
je pense que toute « bonne » décheterie récupère ces produits chimiques….
non??????????????????????????
harvey dit
@A440 je pense que le commentaire de l’ami Toto était un petit clin d’œil un brin ironique, mais dans le fond il a raison. Il faut veiller à ne pas jeter ses produits de dév dans l’évier. C’est assez simple quand le produit est terminé (par ex. le fixateur) de le stocker dans une bouteille plastique et d’envoyer son chargement de bouteilles à la déchetterie en précisant la nature du produit.
David dit
In TriX we trust !
Je vais t’envoyer mes pelloches à développer puisque c’est ainsi 😉
harvey dit
@David il faut que je calcule le prix de revient produit pour le développement d’une pellicule Kodak TriX. À mon avis c’est largement moins d’un euro. Ah ! Sinon mon vieux scanner PlusTek 7200 fonctionne nickel, bon pas sur Mac malheureusement mais sur PC ça tourne bien, rapide à 2400 dpi.
David dit
2400 dpi c’est une bonne résolution qui me suffit aussi. Ca va vite avec l’Epson mais c’est vrai que je ne serais contre un scanner dédié film. Pour l’instant j’arrête d’y penser 😉
Le coût d’un développement est dérisoire mais je déteste le faire. Par contre, ça serait pas mal que je trouve le temps de m’enfermer au labo pour faire quelques tirages…