Je suis tombé récemment sur un texte absolument désopilant, gentillement transmis par une prod avant un concert. Ce texte concerne les photographes et les captations vidéo, dans la forme c’est drôle comme du Monty Python tout en étant très sérieux dans le fond. Morceau choisi. « Ne vous méprenez pas, j’ai le plus grand respect pour les gens de l’industrie de la communication, en fait mes ancêtres avaient un fort lien historique avec le service postal (…). Ces dernières années, et je suis sûr que vous serez d’accord avec moi sur ce point, il y a eu une explosion de ce nombre de personnes qui, on va dire comme ça, sont touchées par la grâce du Seigneur d’une absence totale de talent, essayant par tous les moyens possibles de capturer de l’image et d’être l’oeil du public… » Ce témoignage est aussi pragmatique qu’édifiant, parce qu’il montre une certaine facette de la réalité. Aujourd’hui un shoot, un recadrage, une accentuation dans Lightroom ou Photoshop, voire au passage la suppression des couleurs parce que bidouiller en noir et blanc c’est toujours plus style et voilà. That’s it. T’as plus qu’à coller le mot photographer derrière ton nom et en avant Guingamp. Le nombre de demandes d’accréditations photographes a littéralement explosé, suivant la même courbe ascendante que le nombre de prétendants au titre. Pas étonnant, donc, que le système des accréditations payantes se développe de manière croissante. Mais mon propos, au fond, n’est pas là. Ces dernières années ont vu l’apparition sur la gamme des appareils photos reflex de fonctionnalités vidéo, permettant de réaliser des captations d’images vidéo de grande qualité. Je pense à Canon, en particulier, qui en même fait un de ses grands arguments marketing. Leur EOS 5D Mark II est capable aujourd’hui de rivaliser avec du matériel vidéo pointu, en capturant de l’image à une cadence de 24 à 30 frames par seconde. J’ignore si la stratégie de Canon consistant à intégrer des fonctionnalités vidéo dans toute sa gamme de reflex sera payante à terme, ou pas. En tout cas, aujourd’hui un EOS 7D ou un modeste EOS 550D permettent d’accéder à la vidéo full HD, comme le 5D II ou le nouveau 1D Mark IV. Nikon a une approche du segment qui semble plus pragmatique, même si les boîtiers reflex de la marque jaune se dôtent peu à peu de fonctions vidéo haut de gamme.
Le problème, c’est que l’accréditation photo et l’accord de captation vidéo d’un concert ne relèvent pas du tout des mêmes conditions. Quand un photographe est autorisé sur trois à quatre titres (voire selon les prods sur un temps déterminé), le vidéaste lui est beaucoup plus contrôlé, les captations vidéo dépassant rarement un titre. Car une vidéo intègre non seulement l’image de l’artiste mais aussi la bande sonore. Les questions soulevées par la possibilité pour un photographe de capter des images vidéo d’excellente qualité sont très nombreuses et vont, inévitablement, être une source de conflits supplémentaires dans les mois et les années à venir. Les risques sont multiples, non seulement de problèmes entre les prods et les photographes film-makers, avec à terme, on s’en doute, un durcissement des règles mais aussi de conflits entre photographes. Je ne serais pas étonné de voir fleurir dans un avenir proche des clauses dans les contrats d’accréditation stipulant aux photographes l’interdiction pure et simple d’utiliser les fonctions vidéos de leur boîtier reflex. Pour ma part, la question ne se pose pas, j’ai dit et répété que la vidéo n’est ni mon métier, ni ma tasse de thé. Mais une chose est claire. Entre photographe et vidéaste, avant d’entrer dans le pit, il faudra choisir son camp.
• cliché : un photographe dans la fosse Vieilles Charrues 2009
Buffalaurent dit
Juste pour mettre mon grain de sel (pour une fois que je peux parler en connaissance de cause), je doute que la bande son captée par ces appareils photos, aussi bons soient-ils, soit réellement utilisable. Parce que les niveaux en concert sont ce qu’ils sont (et c’est un débat à part entière qui n’a pas vraiment sa place ici, ou au moins pas dans ce post), le gars qui réussi à filmer et avoir une bande son non saturée, je lui dit chapeau!
(après, je me plante peut-être royalement, hein, je n’ai jamais vu de vidéo réalisée comme ça, mais puisque tu en parles, je serais curieux de voir le résultat)
toto dit
Effectivement la remarque est pertinente. Les vidéos de nine inch nails tournées avec un 5d mark II ont une source de son externe.
http://blog.planet5d.com/2009/06/new-nin-canon-eos-5d-mark-ii-videos/
Buffalaurent dit
Effectivement, le résultat est nikel. Mais j’imagine qu’il a eu le mix par l’ingé son, non? Donc dans un cas comme celui-ci, je suppose qu’il bosse avec la prod du groupe, et que le fait qu’il filme ne pose donc pas de problème. Mais je serais curieux de voir des vidéos filmées en concert et avec un son qui est capté directement par le photographe.
En tous cas, le résultat vidéo est impressionnant.
harvey dit
J’attendais cette remarque, alors qu’elle émane d’un ancien de la filière Image et Son de Brest ne m’étonne pas plus que ça… 😉 Tu as raison Laurent, les perf relativement pauvres de l’entrée son intégrée du 5DII ne permettent sans doute pas d’envisager un enregistrement de qualité, mais au fond ça ne remet pas en cause la problématique de la capacité d’un photographe capable de réaliser une captation vidéo.
toto dit
Oui il y a eu mix par l’ingé son du groupe.
harvey dit
@Toto j’imagine le gars avec son 5DII sur la scène, on voit qu’il s’approche de vrament près. Je trouve que ça casse l’image du show, c’est chiant pour le public et c’est chiant pour les photographes dans la fosse. Ça m’est arrivé de couvrir des concerts où des vidéastes étaient sur scène collés aux zicos c’était affreux ! Impossible de faire un shoot sans avoir une caméra vidéo dans le champ !
Buffalaurent dit
@Harvey
Hé hé.. Bah d’un autre côté, c’était une perche tendue. Ceci étant dit, comme tu le dit, ça n’enlève rien au fait que les photographes puissent désormais filmer et au fait que les autorisations ne soient pas les même. Le groupe de musique n’a alors plus le contrôle de la bande son comme il pourrait le vouloir. Comme tu le soulignes dans ton article, ils accrochent plus d’importance à la bande son d’une vidéo du concert qu’à leur image, bien souvent, et ça se comprend puisque dans le cas des vrais musiciens, la musique qu’ils jouent est quelque chose qu’ils ont composé et / ou interprété et sur laquelle ils ont mis leurs tripes, et ça n’enlève pas la possibilité que ce qu’ils aient joué ne soit pas à la hauteur de leurs attentes (on a tous des jours sans). Il y a aussi le fait que vidéastes et photographes soient alors mis dans le même panier alors que les choses sont différentes (déjà qu’on met désormais souvent photographes et graphistes ensemble…).
D’ailleurs, le problème que tu poses soulève un point très intéressant: on tend désormais vers une recentralisation des arts. Aujourd’hui, quand je veux écouter un CD, je suis obligé d’allumer ma télé parce que mon lecteur blu-ray (ok, j’avais qu’à acheter un lecteur CD) m’y oblige. Les Blu-ray de musique qui sortent et vont sortir ont tous de la vidéo.
La vidéo nous entoure. Un peu trop, je trouve… D’ailleurs, ça se voit même en recherche (vi, la recherche, ça vaut ce que ça vaut, je te l’accorde, mais ça donne une idée de vers où les choses peuvent aller), les thèmes d’étude sur l’interaction des différents sens se multiplie.
harvey dit
@Laurent le truc qui m’interpelle c’est de voir Canon investir autant d’efforts marketing dans l’aspect intégration d’une fonctionnalité vidéo dans un appareil photo. On connaît bien Canon, on sait parfaitement que si la firme décide de forcer sur une orientation de manière aussi marquée c’est qu’elle y croit. Alors que chez nikon, ça reste encore relativement timide voire prudent. La convergence numérique vidéo/photo aura-t-elle lieu ? Je n’ai aucune réponse à cette question à dire vrai !
Buffalaurent dit
Vi, ça a effectivement été un changement de direction assez… surprenant. Maintenant, les téléphones lisent la vidéo, les lecteurs mp3 lisent la vidéo, les compacts enregistrent de la vidéo… L’idée serait-elle de forcer les professionels photo / vidéo (/audio?) à converger à terme vers un seul produit?
Moi, en plus de ce que tu dis, je serais tenté d’ajouter que vu les efforts marketing qu’elle investis, non seulement Canon crois à la convergence photo / vidéo, mais Canon a l’intention d’en être un des instigateurs.
Si j’étais Canon et SI (ça fait beaucoup de si) je croyais dur comme fer à la convergence photo / vidéo (ce en quoi Nikon ne croit peut-être pas ou pas autant), je ferais tout pour faire partie de ceux qui ont lancé la chose, et ainsi mettre de mon côté les premières personnes qui seront utilisatrices (professionnelles, puisqu’on parle ici de la vidéo dans les modèles pro d’appareils photo) de ces technologies.
Maintenant, perso, je ne vois pas l’intérêt. Mais peut-être prend-t-on le problème à l’envers: peut-être que l’intérêt de cette convergence n’est pas pour les photographes mais pour les vidéastes, qui auraient avec ces appareils photo / caméras un nouvel outil. Peut-être que ce nouvel outil leur apporte quelque chose que les caméras traditionnelles n’ont pas? (de meilleurs objectifs? je ne sais pas)
Mais effectivement, l’arrivée de la vidéo dans nos réflex pose de nouvelles questions.