Voilà un an que les deux mastodontes de la photographie que sont Nikon et Canon se sont décidés – enfin ! Diront les plus impatients – à investir le segment du mirrorless plein format. Oui, je précise à dessein plein format. Car ces meilleurs ennemis, qui ne sont pas des lapins de six semaines, ont chacun une parfaite maîtrise de l’APN sans miroir. Depuis des années, la marque jaune produit Nikon One, un petit mirrorless au capteur un pouce et un crop de 2,7 que j’ai eu l’occasion de tester avec joie il y a quelques années. Quant à la marque rouge, elle n’est pas en reste, avec sa gamme M. Tout aurait pu continuer ainsi tranquillement dans le meilleur des mondes si en face des deux compères un trouble-fête n’était pas venu jeter un pavé dans la mare aux canards. Sony a lancé Alpha 7, puis Alpha 9 et a fait la course en tête pendant plusieurs années sur le segment du mirrorless plein format. D’aucuns ont évoqué avec un peu d’empressement une hégémonie de cette marque. Il est vrai qu’en étant seul sur un segment, on a peu de difficultés à en revendiquer son leadership.
Mirrorless plein format vs visée reflex.
N’empêche. Les ingénieurs de chez Sony ont fait un boulot remarquable, en réussissant l’exploit d’adapter un capteur hérité de l’ancienne gamme NEX au format APS-C sur un APN mirrorless plein format et en développant une gamme d’optiques tout aussi remarquables. C’est dans ce climat concurrentiel tendu, dans un contexte économique morose, que Nikon et Canon ont investi le segment fin 2018. Que ne l’ont-ils pas fait avant ? D’abord, mettre au point une gamme de cette ampleur, en partant d’une feuille blanche, ça demande du temps, quatre à cinq ans a minima. Et un budget R&D conséquent. Ensuite, il ne faut pas perdre de vue que le cœur du système développé par les deux leaders du segment photographie professionnelle tient dans la gamme des appareils à visée reflex. Tant Nikon que Canon ne peuvent renoncer, du jour au lendemain à ce segment qui les fait vivre depuis tant d’années.
• Les pros bossent en reflex
L’autre versant du problème, et non des moindres, tient dans la clientèle. Les photographes équipés en reflex, qui ont investi dans du matériel lourd et coûteux depuis des années (boîtiers et optiques), qui ont des habitudes de travail liées à ce type de matériel, ne voient pas d’un bon œil (si j’ose dire) la perspective de devoir tout lâcher du jour au lendemain, pour switcher de la visée reflex au mirrorless plein format. Et c’est particulièrement vrai pour les photographes professionnels. C’est dans ce contexte que Nikon a annoncé le développement de D6, son futur navire amiral tandis que Canon a dégainé de son côté EOS 1Dx Mark III. Dans le collimateur des deux marques, un évènement d’ampleur, les Jeux Olympiques 2020 qui se déroulent cette année au pays du soleil levant, berceau historique des deux marques. L’occasion pour Canon et Nikon de se confronter sur le terrain (très convoité) de la photographie de sport. L’occasion aussi de faire le point, in situ, sur la présence de mirrorless plein format Sony Alpha 9…
Quand on interroge les photographes professionnels équipés en reflex, sur leur intention de quitter la visée reflex pour switcher vers le mirrorless plein format, le moins qu’on puisse dire c’est que les réponses ne reflètent pas un enthousiasme débridé. Si je prends mon cas personnel, j’ai revendu mon D4s pour passer au Z6, mais je suis un cas particulier. Nikon Z colle bien à mes besoins, il est en adéquation avec mon travail. Mais, pragmatique (et prudent), j’ai néanmoins conservé mon reflex, l’excellent Nikon D500 ainsi que mes optiques Nikkor en monture F. J’ai aussi un adaptateur FTZ, mais quand je vois les performances de mes optiques S (en particulier Nikkor 24-70mm f/2,8 S), je rechigne un peu à utiliser mes optiques F sur mon Z6, même si les performances sont au rendez-vous.
• La frilosité des pros équipés en reflex
Reste que du côté des pros équipés en reflex Nikon, ça ne se bouscule pas au portillon. D’abord en raison de la gamme optique Nikkor F existante. Quand vous avez travaillé avec un 300mm f/2,8, un 180-400mm f/4 ou un 600mm f/4 – pour ne citer que quelques optiques premium de référence -, quand vous connaissez leur parfaite adéquation avec un reflex comme Nikon D5 réputé pour son endurance, sa précision en matière d’AF, son autonomie, que vous savez ce que vous obtenez en matière de qualité d’images, vous n’avez absolument aucune envie de lâcher l’affaire pour switcher vers un boîtier ultra léger sur lequel vous ne pourrez même pas monter un grip. Et si vous êtes équipé par l’épicerie d’en face, chez Canon, avec un EOS 1Dx Mark II par exemple, vous bénissez chaque jour vos optiques serie L.
• Visée reflex ou visée réelle, c’est pas le même monde
En fait, il y a un monde entre la visée reflex et la visée réelle du mirrorless plein format. Ne proposez pas à un photographe animalier habitué à bosser dans des ambiances poussiéreuses de switcher vers un mirrorless. Comme j’ai eu l’occasion de l’écrire ici, Nikon Z (mais c’est aussi valable pour les autres marques), avec son tirage mécanique ultra réduit a le cul à l’air. Chaque changement d’optique est un risque potentiel de poussières sur le capteur. J’en parle en connaissance de cause. Les photographes qui me connaissent savent que je suis aussi maniaque que précautionneux. Ça n’empêche pas le capteur de mon Z6 d’être déjà décoré de deux ou trois poussières, au bout de quelques mois seulement d’utilisation. Et je ne parle même pas d’aspects techniques comme l’autofocus. Même si Nikon Z assure à ce niveau, on ne retrouve pas la pertinence et l’ultra précision d’un AF-C suivi 3D tel qu’on le connaît sur un reflex comme D5 ou D500.
• Une transition en douceur
Alors ? Le reflex a-t-il encore de l’avenir ? À court et moyen terme, assurément. Pour répondre à la question posée en titre de cet article, il se passe généralement un délai de quatre ans entre chaque génération de reflex haut de gamme. Par exemple, Nikon D5 a été annoncé en janvier 2016, puis commercialisé trois mois plus tard. Canon EOS 1Dx Mark II avait été annoncé un mois après Nikon D5, commercialisé fin avril. Leurs successeurs, Nikon D6 et EOS 1Dx Mark III dont le développement a été annoncé seront commercialisés dans les mois qui viennent afin d’être opérationnels pour les J.O. de Tokyo. Verra-t-on une nouvelle génération de reflex haut de gamme en 2024 ? Rien n’est moins sûr. Tant Nikon D6 que Canon EOS 1Dx Mark III pourraient bien être le chant du cygne du reflex numérique. Autant on sent bien que Canon pousse ses développements optiques sur la gamme EOS R, autant Nikon continue de développer sa gamme en optiques F. Un zoom 120-300mm f/2,8 devrait être annoncé au CES de Las Vegas qui ouvre aujourd’hui, ce lundi 6 janvier 2020. On se dirige peut être vers une transition douce, la gamme reflex profitant des avancées technologiques développées pour le mirrorless.
• Un mirrorless plein format monobloc, un jour ou l’autre ?
Reste que la gamme mirrorless plein format n’est pas figée. La preuve, Nikon a annoncé Z50, un mirrorless au format DX accompagné d’une gamme d’optiques adaptées, alors que Canon propose un EOS RP aux performances plus restreintes (et au prix très attractif) mais en plein format. Il ne faut pas être grand clerc pour imaginer le développement, un jour ou l’autre, d’un appareil mirrorless plein format monobloc qui serait le pendant visée réelle d’un Nikon D6, susceptible d’offrir les même niveaux d’endurance qu’un reflex haut de gamme. L’aventure du mirrorless ne fait que commencer, tant pour Nikon que pour Canon et la suite de l’histoire est déjà en train de s’écrire. Pour la gamme reflex, en revanche, c’est inéluctable, les carottes ne sont pas loin d’être cuites. Une page est en train de se tourner.
Alex dit
Salut Hervé,
« un mirrorless au format DX accompagné d’une gamme d’optiques adaptées » en fait d’une gamme d’optiques adaptées, ils n’ont sorti que 2 zooms bas de gamme et le seul annoncé est un autre zoom bas de gamme, Nikon réitère le principe de ses formats en reflex à savoir: l’APS-C c’est pour les amateurs!
Fuji a été plus malin pour le coup (il est vrai qu’ils n’ont aucune gamme plein format à protéger), et si Nikon comme Canon (gamme EF-M datant de 2012 avec une gamme optique pas vraiment plus ambitieuse) continuent de voir ce format comme un simple tremplin au format supérieur, ils leur laisseront toujours un boulevard.
Après, que Canon et Nikon poussent en priorité le développement de leurs gammes Z et RF n’a rien d’étonnant et n’est pas tant le signe d’un arrêt des gammes reflex que du fait qu’elles sont déjà largement développées, il est plus logique de développer un 24-70 et un 70-200 f/2.8 dans une monture qui n’en a pas encore que d’en renouveler sortis il y a moins de 4 ans dans une autre monture.
Même si on est d’accord que le marché a peu de chance de les pousser à continuer de les développer, on est à mon avis encore loin du chant du cygne et certaines pépites en montures reflex peuvent encore être espérées comme le 120-300 f/2.8 ou le 35 f/1.4 de Tamron. C’est d’ailleurs étonnant de voir dans certains tests que ce Tamron est le chant du cygne et qu’ils vont sans aucun doute se tourner vers les hybrides Z, alors qu’ils ont déposé un brevet pour un 85 f/1.4 également en montures reflex. Ok, un brevet n’est pas un produit, mais en attendant on suppose de l’avenir en hybrides alors que Tamron n’a ni annoncé ni déposé aucun brevet en monture Z…