J’avais vu un reportage sur le monde du tatouage, réalisé à Los Angeles, États-Unis. En substance, le gars face caméra s’exprimait à peu près en ces termes. « Ici, à L.A. si tu as moins de quarante ans et que t’es pas tatoué, t’es un extra-terrestre ! » Je me suis dit à ce moment là qu’il ne ferait pas bon pour moi de vivre dans la cité des anges, même si ça fait un bail que je n’ai plus quarante ans. Me faire tatouer, non merci, ou alors sous anesthésie générale. Infliger une souffrance pour écrire un truc quasi indélébile sur ma peau délicate, voilà un concept qui m’échappe un peu. N’empêche, j’ai une vraie fascination pour l’art du tatouage, car oui, c’est un art. Quand on me dit tatouage, je ne sais pas pourquoi mais je pense immanquablement à Daniel Darc, un personnage pour qui j’ai toujours eu une immense tendresse. Je l’avais croisé une ou deux fois, quand il était venu à Brest. Daniel Darc était un ange, un extra-terrestre et il était tatoué. D’ailleurs il avait masqué de noir, comme le drap du deuil, les tatouages qui lui rappelaient sans doute quelque funeste souvenir. Quand j’ai vu le livre de Julien Lachaussée Alive : Tattoo portraits, un beau libre de photos publié chez Eyrolles, j’ai tout de suite pensé à Daniel Darc, sans même savoir que Julien Lachaussée avait signé la pochette de l’un de ses disques. La boucle était bouclée.
Alive. Tatoo portraits, le tatouage à l’état brut.
J’aime ces livres de photos qu’on peut prendre et feuilleter, l’ouvrir à n’importe quelle page, n’importe quand, en étant sûr qu’on va trouver un cliché qui interpelle et qui raconte des histoires. Il faut bien admettre que Julien Lachaussée a fait un travail photographique absolument remarquable, au sens littéral du terme. Six ans de labeur, cent quarante six portraits, du noir et blanc, de la couleur, le tout réalisé en argentique, un détail qui n’a évidemment rien d’anecdotique. Ici, on est dans la pellicule, dans la magie des cristaux d’argent qui colle parfaitement à l’univers du tatouage. Il y a aussi quelques clichés réalisés en Polaroid, du film pack 100 noir et blanc qui fait désormais partie de l’histoire ancienne. Ce livre, à dire vrai, c’est plus qu’un livre de photos. C’est une immersion, une plongée profonde dans l’univers mystérieux, quasi mystique du tatouage. On y croise des créatures dignes d’un freak show à la Tod Browning, des bikers, des stripteaseuses. On pourrait tomber facilement dans le glauque, dans le sordide, le voyeurisme de bon aloi et pas du tout. C’est un regard plein de tendresse qui ressort de ces clichés, on sent une vraie complicité entre le photographe et son ou ses sujets. Julien Lachaussée c’est aussi un regard, un sens de la mise en scène, de la composition tout à fait remarquable. Je ne connais pas Julien Lachaussée, mais à l’occasion j’aimerais bien le rencontrer. On ne parlerait pas de photos, on parlerait juste des gens qu’il a côtoyé. Des gueules cassées et magnifiques. On parlerait de Daniel Darc en buvant du thé, on évoquerait les paradis perdus et les filles qui aiment les tatouages.
• Julien Lachaussée, photographe, a signé la pochette de « La taille de mon âme » de Daniel Darc.
• Alive, tatoo portraits par Julien Lachaussée (224 pages, 25€. Éditions Eyrolles)