Bertrand Cantat a aussi le droit au pardon.
Il y avait ce gars, un grand gaillard avec des mains larges comme des pelles, au regard bleu acier, pas taciturne, non. Un gars discret, poli, élégant. Marié, deux enfants, une vie sans histoire. Il s’appelait Louis, il était serrurier. Un bon gars, serviable, qui dépannait jusqu’à pas d’heure, sept jours sur sept. Dans le quartier, tout le monde l’aimait bien, Louis. Un lundi matin, on n’a pas vu Louis à son travail.La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. La veille, Louis avait tué sa femme. On était terrifiés, partagés entre la peine de ce drame épouvantable et le désarroi de cet homme. Personne n’a jugé. Crime passionnel, de ces moments où la colère devient une folie de courte durée et où n’importe quel être empli de sentiments peut commettre l’irréparable. Ôter une vie, priver celle qu’on aime d’un souffle, comment peut-on réaliser ça, en arriver là ? Dans ma rue, on ne verrait plus la grande silhouette longiligne de Louis. La justice a enfermé notre grand bonhomme, le condamnant pour homicide, reconnaissant le caractère passionnel du crime. Quelle étrangeté que l’amour, capable du meilleur comme du pire, n’est-ce pas ? Si vous avez aimé un jour, de ce feu intense qui vous dévore de l’intérieur, qui vous enlève toute raison, je sais que vous me comprenez. Les années ont passé. Un jour, j’ai croisé un ami qui m’a dit : « Tu es au courant, pour Louis ? » Notre ami avait été libéré, par la grâce du truchement judiciaire et des remises de peine. Il avait été, pendant toute sa détention, un détenu exemplaire, n’avait jamais contesté sa peine, l’avait assumée. En sortant de prison, Louis n’était plus le même homme, abîmé, cabossé, c’était un survivant. Louis a trouvé un travail dans une imprimerie du sud de la France. Son patron, très engagé dans la réinsertion post carcérale dit de lui que c’est un travailleur exemplaire, discret, un brin taciturne. Dans un instant de folie, Louis a commis une faute, lourde. Il a été condamné, n’a pas fait appel de son jugement, l’a accepté, a purgé sa peine. La page douloureuse s’est tournée. Louis est vivant. Il a le droit au pardon, ça ne se discute pas.
Étrange similitude avec le « drame de Vilnius ». Bertrand n’était pas serrurier, mais auteur-compositeur, mais finalement quelle importance ? De quel droit pourrait-on accorder le droit fondamental au pardon à l’un et pas à l’autre, sous le seul prétexte que l’autre est un personnage médiatique ? Les médias, la presse, les journalistes se gargarisent du retour de Cantat sur la scène publique alors qu’ils sont les premiers à revendiquer la nécessaire réinsertion sociale des détenus à l’issue de leur peine. On y va à grands coups de sondages qui posent des questions aussi ignobles que contraires à nos lois les plus fondamentales. Pensez-vous que Bertrand Cantat a le droit de revenir sur scène ? Qui s’assimile à se demander si notre société est disposée à assumer ses choix judiciaires. Parce que finalement, on en est là. Bertrand Cantat a commis une faute en 2003, a été condamné, a purgé sa peine, en silence. Il a payé un geste que la justice a qualifié de passionnel mais il n’oubliera pas. Il suffit de regarder son visage qui portent les stigmates de la souffrance, d’écouter sa voix chargée de la douleur passée. Bertrand Cantat n’était pas mon ami, je ne connaissais de lui que ce personnage de scène flamboyant, ce monstre incandescent, cet être fragile, à fleur de peau. Il n’était pas mon ami pas plus que je ne suis son juge. La douleur n’efface pas la faute, pas plus que le temps. Mais Cantat est debout. Il marche en solitaire, il continue son chemin, car notre société lui en a accordé le droit, et il porte en lui ses douleurs et ses amours anciennes.
• photo : calvaire de Kerlouan (crédit Hervé LE GALL, photographe)
Klaine Anne-Laure dit
Merci pour cet article. Vous exprimez exactement ce que je ressens ! Je ne comprends décidément pas les réactions des médias, de certaines personnes que je croise, mais aujourd’hui j’ai l’impression que chacun choisi un camp, comme un supporter, et la complexité dans la compréhension des choses de la vie n’est plus possible. Comme des ordinateurs, binaires, blanc/noir, pour/contre…
il n’y a rien à comprendre dans ces réactions, çà me met en colère. Pourquoi ne peut on pas apprécier l’artiste et ne pas se mêler de sa vie personnelle ? Il a payé, paiera toute sa vie, çà ne nous regarde pas et çà fait plus de dix ans que les gens débattent…
harvey dit
Cantat est condamné à la double peine. Le simple fait qu’il soit un personnage public lui interdirait la compassion qu’on accorde aux anonymes…
Simon dit
La différence majeure avec Cantat…
C’est que c’est un mec qui écrit des textes avec ses tripes.
Et si ses tripes sont pourries… Bah….
C’est clairement ce qui me dérange. Je n’ai pas envie d’entendre les sentiments profonds, les pensées sincères d’un mec qui a tué avec ses poings.
harvey dit
Personne ne t’oblige, Simon, à « entendre les sentiments profonds » de Bertrand Cantat. Personne ne te contraint à acheter son disque, à aller le voir en concert. Tu es libre de tes pensées, comme Cantat est désormais libre de reprendre une activité professionnelle. Quant aux démons intérieurs, Bertrand Cantat n’est pas un index unique. Il suffit de feuilleter le passé littéraire pour s’en convaincre…
Simon dit
Je me doute qu’il n’est pas seul.
Mais je sais aussi que je ne suis pas obligé de l’écouté.
Simplement, je le rejette mais j’argumente, j’explique ma démarche.
Je ne veux pas être un voyeur. Je ne veux pas écouter ses excuses, son mal être. Je ne veux pas tomber dans la compassion en l’écoutant.
Je comprends que pour un artiste, il est impossible de se taire, de garder ces sentiments là. Je comprends qu’après avoir été une « rock star », on ne peut pas devenir ouvrier sur une chaîne pour manger.
Mais voilà, je ne veux pas m’intéresser à Cantat.
Qu’on ne vienne pas me dire que ce qu’il écrit est « beau ». Ce qu’il a fait est atroce, et ce qu’il vit doit l’être tout autant….
philippe dit
Je suis tout a fait d’accord avec toi au sujet de tout ce remue-ménage médiatique, de quel droit les « francais » pourraient donner leur accord au retour sur scène de Cantat, c’est du gros n’importe quoi. Il a été jugé, il a payé et voilà, il est libre de faire ce qu’il veut.
En sortant de prison ton serrurier est partie se faire oublier ailleurs …, Cantat a décidé de revenir sur scène, c’est son problème mais je trouve cela très petit, voir minable. Perso je n’irai pas le voir et je n’achèterai pas ces disques non plus.
Caillart dit
Très belle article, je suis entièrement d’accord avec vos propos. Salutation et Merci.
Ricardo dit
Bonsoir, je comprends tout à fait les positions de chacuns, qui, au final, ne regardent peut etre que lui et les protagonistes. L’article est écrit avec la sagesse de l’intelligence. Ce qui nous differencie de l’animal c’est bel et bien la raison. Je crois qu’il a suffisamment à gérer son passé, son présent et son futur pour le laisser tranquille me semble t il pour lui éviter la double peine. Ce qui n’enlève rien à rien.L’humanité est en nous parait-il c’est d’ailleurs pour ça que nous avons aboli la peine de mort dans notre beau pays La France.
« Tant que nous ne pourrons pas pardonner à autrui ces erreurs, on sera encore bien loin du chemin vers la Sagesse. Exception faite, peut être, pour les systèmes totalitaires et les guerres en tous genres ».
Ricardo dit
A Simon, je reprends vos dires » mais voila, je ne veux pas m’interesser à Cantat ». Et pourtant ….
Lenoir L dit
Ce qui est important de garder en tête, c’est que le sujet mis en avant n’est pas « Faut il pardonner Bertrand Cantat ». Personne n’a le droit de vie ou de mort sur un autre être humain.
Ce qu’il a fait n’est en rien un acte pardonnable.
Néanmoins, cet homme, comme beaucoup avant lui, à purgé sa peine.
Il n’a pas « payé sa dette », la vie d’une personne n’est pas quelque chose qui s’achète. Toutefois, il a été puni pour son acte.
Bertrand Cantat n’est peut être pas quelqu’un de bien. Mais il a désormais regagné son droit de vivre.
Cet homme a de nouveau le droit d’exercer ce pourquoi il est né: écrire et chanter. Il faudrait être de très mauvaise foi pour dire que Cantat n’a pas de talent.
De mon point de vue, tant qu’il ne cherche pas le pardon au travers de son art, alors il est tout à fait en droit de nous faire rêver comme il a su le faire pendant tant d’année avec son groupe Noir Désir.
Mister G dit
pourquoi on ne parle jamais de la famille de Marie ? je suis d’accord il a payé sa peine etc, mais pourquoi venir sur le devt de la scène ? ou je peux ne pas aller aux concerts, ne pas ecouter son disque, etc mais j’ai pas le choix de me manger le redemption du gars, il est partout… alors comparé a Louis le cas Cantat je suis pas d’accord, louis fait pas de vagues lui il reste pepere dans son usine mais Cantat revient en mode genre il s’ est rien passé…. je trouve ça hyper abusé, c’est mon avis, je respecte l’artiste au cours de sa carrière sous le groupe Noir Desir, je préférerais qu’il fasse profil bas, se faire oublier, trouver un taf et respecter la famille Traintignant qu’il a déchiré…
Mark dit
Bonne chance à la prochaine compagne de Bertrand Cantat ! Un stage de Krav-Maga avant de sortir avec lui ne sera pas superflu.
David dit
« Il suffit de regarder son visage qui PORTE les stigmates de la souffrance » 🙂
Sinon, bien d’accord avec toi, Hervé. Il a purgé la peine infligée, et n’a pas besoin d’une double peine. Remettre en question le fait qu’il soit sorti et qu’il reprenne le cours de sa vie revient à remettre en cause notre Justice. Merci pour l’article.
marc dit
Hola hola, de quoi parle t’on ???
D’un mec qui a tué une femme.
Condamné par la justice lituanienne le 29 mars 2004 à huit ans d’emprisonnement.
Il n’en fera réellement que 4.
4 ans pour avoir tué une femme…
Sans parler d’une autre femme et de son suicide assez « douteux »…
Et vous vous offusquez que les médias s’étonnent de sa libération ???
Il aurait fait 15 ans, il aurait put revenir sur scène sans que personne s’en offusque, mais là….
Pour moi, ce mec devrait être en prison et c’est un tueur de femme.
Vous dites qu’il paiera toute sa vie ???
Mais la victime dans tout ça ???
Alors, oui, on peut aimer l’artiste, mais être artiste ne permet pas tout et l’opinion publique est aussi marquée que son visage.
harvey dit
Je sais que je ne devrais pas, mais Marc je vais te répondre.
On parle d’un homme qui a tué sa femme, c’est vrai. C’est affreux, tout le monde en convient. C’est un « crime passionnel », c’est comme ça que la justice le définit. Il a été condamné par la justice lituanienne, puisque le crime s’est déroulé en Lituanie qui est un état souverain. Il a accompli sa peine en France, comme le prévoient les accords entre la France et la Lituanie. Condamné à huit ans, il n’en n’a fait que quatre. Ce n’est pas un traitement de faveur, c’est le truchement normal des remises de peine. Bertrand Cantat n’a pas tué « une » femme, mais sa femme. Ça n’excuse rien, ça explique seulement pourquoi dans certaines circonstances la justice reconnaît la notion de « crime passionnel ». Quant au décès de Kristina Rady, c’est un suicide. Lui en imputer la responsabilité est un raccourci auquel, pour ma part, je ne me risquerais pas.
Je ne m’offusque pas de la réaction des médias. Je m’étonne que des gens puissent contester une décision de justice. Je m’étonne que des gens habituellement prompts à revendiquer la réinsertion post-carcérale se scandalisent dès lors qu’il s’agit d’un personnage médiatique. Je trouve assez ironique de dire que s’il avait fait quinze ans… Quinze ans c’est mieux que huit ? S’il avait pris quinze ans il serait sorti au bout de sept ou huit ans.
Il est des raccourcis qui me donnent la nausée. Cantat a commis un crime, il a été condamné, a purgé sa peine. Comme Louis, le serrurier dont je parle dans mon billet, Bertrand a le droit au pardon, à la compassion, même si son crime est en lui, comme une damnation éternelle.
Je fais abstraction du fait que Cantat est un artiste. C’est un être humain. Il a commis une faute, a payé pour sa faute. Dans un état de droit, on respecte sa justice ou bien on va hurler avec les loups.
marc dit
Mais c’est bien ce que je dit.
Quant je parle de 15 ans, je parle de 15 ans ferme, car le problème est bien là.
Toutes ces lois ne veulent plus rien dire.
Regarde en France, car je ne connais pas la peine encouru en Lituanie.
Un Homicide, le risque c’est 30 ans. 30 ans donné seulement dans de rare cas.
Donc, tu tue quelqu’un, t’en prend 10 et la première chose que ton avocat te dira c’est « ne t’inquiéte pas, t’en fera que 5 ».
Le problème est bien là et c’est bien cela qui choque les médias et l’opinion.
Qu’importe que tu soit artiste ou pas.
Et franchement, je croise les doigts pour que cette personne ne soit plus jamais mêlè de prés ou de loin avec la justice pour des faits similaires, car après, faudra pas pleurer.
Et pour le crime passionnel, heuuu excuse moi, mais c’est pas juste un mauvais coup et la faute à pas de chance….
Mais comme tu dis, c’est la justice qui a le dernier mot et nous n’avons qu’à nous taire et applaudir. 😉
harvey dit
Je dois dire que le manque de compassion et d’humanité m’afflige, mais voilà je ne cherche pas à convaincre, je ne suis pas le bon samaritain et sûrement pas ici pour évangéliser, juste m’interroger. Bertrand Cantat a commis une faute lourde, impardonnable diront certains. Impardonnable ? L’affaire a été jugée, la sanction est tombée, elle a été exécutée. Fin de la procédure.