On est samedi. Je lève la tête, je regarde par la fenêtre, il y a ce joli ciel bleu sur Brest. J’entends la merlette qui squatte mon jardin chanter sur un arbre, des enfants qui braillent et qui s’amusent, dans l’insouciance de l’âge. C’est une belle journée, mais le cœur n’y est pas. Parce qu’hier soir, la nouvelle est tombée, sèche et violente comme une gifle, j’ai vu passer l’annonce de ton décès sur Twitter. Un résumé de ton départ en cent quarante caractères. L’émotion m’a envahi et je suis resté là, prostré, incapable de bouger, de dire un mot. Ma première réaction a été d’appeler mon ami Jérôme, histoire de ne pas plonger, juste pour partager avec lui des silences, mon incompréhension et quelques bribes de souvenirs.
Ton nom, Jean-Philippe Quignon, restera à jamais indissociable du festival des Vieilles Charrues. Tu étais aussi humain qu’humaniste, j’aimais ton regard, ta simplicité, ta bonté d’âme et par dessus tout j’admirais, je dois te l’avouer aujourd’hui, ta suprême élégance. C’est ça. Tu étais un mec élégant, il y avait ce je ne sais quoi dans ta démarche, un ton posé, une allure à la fois discrète, presque réservée et en même temps assurée. Chaque année, comme un rituel, on te retrouvait à l’annonce de la programmation et on comptait les jours, avec l’impatience des gamins devant le sapin de Noël, qui nous séparaient des retrouvailles sur la plaine de Kerampuilh.
Je t’ai croisé le dernier jour de cette édition, tu remontais le petit chemin qui mène de Glenmor à Kerouac, bras-dessus bras-dessous avec Cécile, ta femme. Tu semblais tranquille, apaisé et visiblement heureux, parce que les Vieilles Charrues c’était ta dose de bonheur, ton oxygène, ta part de lumière, comme le bénévole que tu n’as jamais cessé d’être. Bien sûr, tu t’es arrêté, parce que bien sûr tu voulais savoir si tout se passait bien pour nous, si on était heureux, si on avait vu de belles choses. C’était dimanche, le soleil avait dardé sur la plaine. Je t’avais parlé de Spinosi et Hélène, ma femme, t’avait dit son enthousiasme, le bonheur du public, le partage, l’hymne à la joie baroque and roll et j’avais ajouté : « Je ne sais pas qui est le fada qui a eu cette idée complètement dingue de programmer l’Ensemble Matheus sur Glenmor, mais en tout cas le gars ne s’est pas planté ! C’était énorme ! » Alors le regard de Cécile s’était enflammé, elle s’était tournée vers toi, te montrant du doigt et s’était exclamé : « C’est lui ! » On avait bien ri et comme le gars humble que tu étais, tu avais relativisé mais finalement ça te faisait tellement plaisir de partager. On avait parlé d’alchimie, de la magie des Vieilles Charrues. Ce festival, ton festival pouvait bien se résumer en un mot. Partage.
Tu vas me manquer Monsieur Quignon. Tu vas nous manquer à tous, nous les bénévoles. Alors à défaut de faire sans toi, on va continuer de faire pour toi, même si ton absence va salement nous peser. Aujourd’hui, en ce samedi de septembre, c’est toute la famille des Vieilles Charrues qui est en deuil. Les bénévoles, les festivaliers, les artistes, celles et ceux qui ont partagé, qui ont vibré, qui se sont aimés, qui ont levé les bras bien haut, bref, qui ont vécu cette indescriptible folie que sont les Vielles Charrues, tous les super héros de Kerampuilh ont senti une immense tristesse les envahir, en ce jour de septembre.
Dimanche. Même le ciel s’est assombri. Sur la plaine de Kerampuilh, aujourd’hui, le silence est pesant. Les roadies ont fermé les flightcases, le régisseur a éteint les lumières. L’ingé-son a coupé la console et dans la fosse les photographes ont posé leur boîtier. Que les artistes se souviennent de celui que tu étais, élégant et sobre et surtout, qu’ils nous reviennent, l’année prochaine, pour faire vibrer le public, encore. Parce que c’est ce que tu aurais voulu, n’est-ce pas ? Que la fête continue et qu’elle soit belle. Que la magie ne cesse jamais. Tu seras là. Tu seras toujours là, promenant ta silhouette longiligne d’élégant gentleman, quelque part entre Glenmor et Kerouac, fredonnant les mots du grand Neil, celui que tu espérais tant voir un jour à Glenmor. Hey, hey, my, my. Rock’n roll can never die.
Hervé LE GALL
photographe des Vieilles Charrues
9 septembre 2012
• photo : Tiré de Charrues en juillet 2006 avec Jean-Philippe QUIGNON et les Frères MORVAN.