Je ne serai jamais ami avec Arnaud Fleurent-Didier. C’est comme ça. Comme disait une artiste que j’ai photographiée et avec qui je ne serai jamais ami non plus, il y a des gens, tu les croises dans la rue, tu sais tout de suite que tu pourrais devenir leur ami, juste comme ça au feeling. Et vice versa. Pour Fleurent-Didier, c’est vice versa et c’est comme ça. On ne se sera jamais potes. On ne boira jamais de limonade ensemble au bar du Vauban en refaisant le monde, en se racontant des souvenirs d’anciens combattants, en devisant sur la couleur du ciel ou l’humeur du jour. On ne parlera pas de littérature, on n’évoquera jamais notre passion commune pour le cinéma de François Truffaut, surtout la période les deux anglaises. On ne parlera pas de sexe, encore moins de cul, il ne saura jamais que j’ai fantasmé au moins autant que son père sur Sylvia Kristel. On ne parlera pas de musique, je ne lui dirai jamais que je n’ai jamais osé dire à Miossec à quel point j’aimais l’album à prendre au moins autant que boire. Je ne lui dirai aucun de mes secrets, je ne lui parlerai pas de Vincent Delerm, je ne lui dirai pas pourquoi j’ai tant aimé écouter les cachets de Florent Marchet après son concert à la Carène. Il ne saura pas que je n’avais pas projeté de le photographier, que j’ai décidé in extremis de venir, juste pour suivre un instinct, une envie irrépressible. Je ne saurai jamais ce que signifiait son regard, était-ce une pause ? Était-ce un cadeau ? Un regard offert, façon Christophe Miossec, ou bien une façon élégante de me dire tiens, prends ça et maintenant va-t-en… Certes non, je ne serai jamais ami avec Fleurent-Didier, encore moins avec ses musiciens que je n’ai pas vus et pourtant il y avait deux filles, plutôt jolies mais non, je ne voyais que ce garçon bien sous tout rapport, fils de bonne famille, propre sur lui, racontant sagement sa vie, déroulant le film de sa vie avec autant d’aisance que de désinvolture, une pointe de cynisme salement efficace, des textes coupés au cordeau. Ce regard froid posant des mots avec une candeur glaciale. « La seule fille baisable du feu M’accorde un petit regard Un petit regard c’est bien peu Puis ça veut rien dire Un petit regard ça fait plaisir Ne sois pas trop exigeant. » Arnaud Fleurent-Didier est tout ce que je déteste, un écorché vif, un talent à fleur de peau, une désinvolture qu’on n’espère qu’apparente. De temps à autre, il lâche un sourire, histoire de rattraper le coup. On voudrait s’enfuir, quitter l’endroit, prendre ses jambes à son cou, aller se perdre au fond d’un verre de rhum, sur le port, avec des marins et des femmes infidèles. Et puis non, un truc fait que je reste, quasi immobile, devant la petite scène de la Carène, côté jardin. Je shoote Fleurent-Didier, imperturbable, en me disant qu’après tout, j’en ai vu d’autres, des comme lui, qui se la jouaient artiste détaché, hein ? Comme lui ? Non, justement. Arnaud Fleurent-Didier n’est pas les autres. C’est un index unique, une pépite, une rareté. Un mec à part, complexe, étrange, inabordable. Un mec avec qui je ne serai jamais ami parce qu’on n’aurait rien à se dire, à vrai dire. On aurait juste, tout au plus, quelques regards à échanger. Et finalement, ça suffirait à mon bonheur. Car la vie, au fond, m’aura au moins appris une chose. Ne pas être trop exigeant.
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Laurent dit
J’aime beaucoup ce texte et notamment la conclusion : « Car la vie, au fond, m’aura au moins appris une chose. Ne pas être trop exigeant. » … pensée douce, l’effet des années passées à polir le granit ? … take care :*
harvey dit
@Laurent prends soin de toi mon Lolo !
Nicolas dit
Une question, entre autres, m’intrigues: pourquoi être venu à ce concert alors qu’aucune obligation ne t’étais imposée?
« Arnaud Fleurent-Didier est tout ce que je déteste, un écorché vif, un talent à fleur de peau, une désinvolture qu’on n’espère qu’apparente », si les artistes talentueux sont tout ce que tu déteste, je ne comprend pas trop non plus pourquoi tout ceci et notamment cet article un peu trop improbable pour tenit la route
Cléo dit
@Nicolas Vous n’avez pas vraiment saisi le sens de ce texte. C’est du second degré, une figure de style, une litote. Une façon élégante et stylée pour l’auteur de rendre hommage à Fleurent-Didier, jusque dans le style du texte, jusque dans sa conclusion, savoureux clin d’oeil. Je suis sûre qu’Arnaud lui-même aime beaucoup le style de ce billet ! Je vous laisse méditer cette pensée. « Quand le sage montre le ciel, l’imbécile regarde le doigt ».
Bertrand dit
Merci Harvey pour ce texte drôle et un petit peu cynique (votre marque de fabrique ?) qui me donne envie de découvrir un artiste que je ne connais pas. Sinon, au risque de passer pour le vieux grincheux de service, je trouve que quand on n’est pas fichu de rédiger un commentaire sans faire autant de fautes de français (5 fautes ! de mon temps c’était zéro) on ne vient pas se poser en donneur de leçons. Et encore ! Je ne parle même pas de compréhension…
Steph dit
En effet Harvey, ce regard; houps!(Bravo Clio ) J’en ai quelques unes dans le style… Un peu plus jeune, pour avoir un shot un plus sympa que les copains, je déchargeais le matos des musicos avec l’équipe pour avoir une autre approche du concert. Et des fois il se passe « la rencontre ». Une grosse gueule de l’époque qui passait sur Lorient avait une certaine tendance à rouler des caisses et prendre son environnement pour un paillasson. Il a tombé le cuir,arrêté la « gonflette », et nous chante Cuba et Valparaiso comme personne. On ne change pas, on évolu …