Hier soir, alors que je roulais, roulais comme un passager de la nuit*, et que je m’emmerdais un brin vu que ma compagne à mes côtés avait rejoint les bras de Morphée depuis un bail, j’ai enclenché la radio, France Inter puisqu’il n’y a que cette station qui soit un tant soit peu supportable et digne de mes esgourdes délicates. Et là, Ô plaisir ! Je retrouvais la voix de l’inénarrable Stéphane Bern, non dans un inévitable et habituel exercice de génuflexion royale (que j’apprécie beaucoup car il me fait vraiment marrer, au demeurant) mais dans la présentation des énièmes Victoires de la Musique ou comment les professionnels de la profession votent et s’auto-congratulent pour désigner les meilleurs d’entre eux, ah ah. Je vous avoue que je ne regarde plus cette cérémonie depuis des lustres. Tout au plus avais-je entre-aperçu, l’an passé, les yeux embués, la prestation de feu Bashung et ça avait largement suffi à mon désarroi. Cette année, donc, comme chaque année, j’avais regardé le listing des nommés (oui, on dit bien nommés et pas nominés bande d’incultes) et j’avais fait mon petit palmarès de faux-cul. Car pour voter aux Victoires, il faut nécessairement être plus ou moins faux derche. Malgré tout, je n’allais pas juqu’à imaginer que la demoiselle Ruiz puisse coiffer au poteau Charlotte Gainsbourg, ce qu’elle fit pourtant avec brio, mais quand même. Non contente d’avoir la carte et la classe internationale, la fille à Lulu avait de quoi séduire avec un album mijoté aux petits oignons par la crème des songwriters, à commencer par Beck. Ou pas. La Victoire est allée directement à Olivia « just sing » Ruiz. Exit les bons petits plats mitonnés maison accompagnés d’un Bordeaux Grand Cru classé, ça sera crêpes aux champignons et bolée de cidre pour tout l’monde. Mathias Malzieu, très digne et très discret (même pas un bisou sur la joue de la Miss alors que le keum de Coeur de Pirate s’est fendu d’une grosse gamelle à sa blonde) jubilait à l’idée de la soirée qui se présentait si bien (merde, voilà que je me mets à causer comme Agathe Godard).
O tempora ! O mores ! On est bien dans l’époque du paraître à défaut d’être. Même le grand Charles semble se demander ce qu’il fait là. « J’ai eu tellement de mal à obtenir ma première récompense que désormais j’accepte toutes celles qui suivent » déclarait Aznavour alors que mon bolide fonçait vers la maison en croisant Ikéa et que notre ministre de la culture y allait de son petit discours fendard, sacré Fredo ! Sur la télé, les tronches plus ou moins fraiches des présentateurs d’Antenne 2 (…) qui se sont succédés depuis vingt cinq balais à la présentation de la cérémonie y sont tous allé de leur tape dans le dos, la palme revenant à Daniéla (qui est toujours d’accord) et à Delarue (qui doit carburer, c’est pas possible, au jus d’argousier). Bref, comme chaque année, les Victoires de la Musique furent une longue, longue, longue et interminable cérémonie, avec un public tout droit sorti du placard. Pas de rythme, pas de tempo, tout au plus un sursaut de temps à autre avec un -M- majuscule au sommet de sa forme (et un Cyril Atef costumé comme l’as de pique à mardi gras, ultra-classieux), Salif Keita toujours un peu ailleurs ou Birdy nam nam, foutrement efficace. Dans ce programme d’électro-encéphalogrammes plats, nul ne s’étonnera que Izia ait détonné. Ah ! Izia… Après avoir parfaitement assimilé le manuel de l’étudiante première année de la Rock academy, il ne fait pas de doute que Mademoiselle H. ait bien révisé le chapitre 12 intitulé, je vous le rappelle « Comment recevoir une Victoire de la Musique avec brio« . Il faut vraiment avoir une conscience musicale proche de la nullité et une méconnaissance totale de l’histoire de la musique de ces quatre dernières décénies pour voir en Izia la réincarnation vivante et frenchie de la pop end sixties, Izia nous rappellant à l’envi que ses références musicales sont les trois bases du rock au féminin (selon ses sources) à savoir, dans l’ordre, Janis Joplin, Patti Smith et PJ Harvey, on ne rit pas. Mazette ! Il faut un peu plus qu’un riff en mi mineur sur une Gibson SG et un hurlement dans le micro pour s’auto-proclamer légende vivante du rock. Mais voilà, on est en France et on se contente de peu côté référence musicales et pas que. À l’occasion, faites-moi penser d’intégrer dans la prochaine édition du manuel, les prestations (dans le désordre) de Mama Béa Tekielski, Beth Ditto, Brigitte Fontaine, Tina Turner, Lisa Kekaula et autres Grace Slick, juste histoire de rappeler que le pur et authentique feeling n’est pas une affaire de marketing.
N’en jetez plus ! On passera volontiers sur la victoire décernée à Benjamin Biolay qui s’est lui-même déclaré indigne de succéder à Bashung, comme quoi tout arrive et cet élan de lucidité suffit à ce que ce garçon remonte d’un cran (mais guère plus) dans l’estime que je lui porte. Je n’ai jamais aimé Biolay et comme disait Brassens, le temps ne fait rien à l’affaire. What else ? On ne s’attardera pas plus que ça sur Coeur de pirate, la nouvelle sensation québécoise, happée de son groupe de rock par un producteur qui a flairé le bon coup. OMFG ! J’ai écouté et il ne m’a guère fallu plus de quelques mesures pour savoir, d’une, que ce n’est pas le genre de mélodies qui va nous révolutionner la Sardaigne et de deux qu’on va se tartiner la demoiselle tatouée dans tous les festivals d’été, aussi sûrement qu’on s’était tartiné Cocoon en d’autres temps, à commencer par Art rock puis, sans l’ombre d’un doute aux Vieilles Charrues en juillet prochain. D’ici là, vous avez le temps d’apprendre les paroles benêtes de la chanson de l’année : « mais tu m’aimes encore et moi je t’aime en-encore plus fort… » pour être up to date cet été. Au fond, il faudrait qu’on arrête de produire en France ces soirées de Victoires ou de César, succession de longues litanies emmerdantes au modèle largement emprunté aux médias anglo-saxons, notamment aux US, qui n’ont pas leur pareil pour proposer des formats calibrés et rythmés. Mais surtout, il faudrait que les pros de la pro soient un petit peu plus en phase avec la réalité, qu’on cesse de féliciter les dinausores et les produits calibrés et qu’on encourage, enfin ! Les jeunes talents qui ne demandent qu’à pousser… Et ça, franchement, chez Super Dupont, c’est loin d’être gagné. Voilà au moins une victoire qui nous échappe.
*allusion à la chanson The Passenger de The Stooges (chapitre 4 du manuel de la Rock academy : « Comment briller en société en citant Iggy Pop dans le texte »)
• photo : le grand Charles aux Vieilles Charrues en 2007. Aznavour, putain de concert !