J’ai traversé l’avenue Clémenceau, j’ai quitté le Vauban pour le pays d’en face, sous une de ces pluies que j’ai en horreur, une pluie fine et glaciale. C’est donc sous un ciel menaçant et en quelques enjambées que j’ai rejoint le Quartz et sa salle ample, confortable, impressionante. Le Quartz est défintivement un bel endroit où je vais peu et tout compte fait pas assez à mon goût. C’est sans doute que j’ai dû me convaincre, un jour, que j’étais fait pour ces salles qui sentent la bière et l’animal, qui transpirent et qui suintent du sol au plafond, avec au petit matin des relents de bordel à marée basse, des retours de flamme éternelle avec ce petit je-ne-sais-quoi qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Vauban, mon cher Vauban, je t’aime tellement (et tu me le rends bien). Mais je m’égare… Revenons au Quartz, à ses fauteuils doux et profonds qui transpirent Chanel numéro 5 et le Darjeeling. Ce grand navire immense va bientôt résonner de la voix de Miossec sur des accords de Tiersen. Miossec et Tiersen, tu parles Charles ! Depuis le temps qu’on les voit traîner leurs godasses ensemble, de jeter des ponts entre Brest et Ouessant, on se dit que ça devait bien finir par arriver, que ces deux-là nous fassent, l’un et l’autre, des mots et des notes à quatre mains. Dès le premier accord, le premier mot, le son de sa voix, mon oeil accroche imperceptiblement une cible qu’il connait bien et Christophe Miossec envahit mon collimateur, à tel point que je ne vois que lui. Depuis mon premier cliché de Miossec, je n’ai jamais perdu le goût de ça. Trois premiers titres, c’est la règle. Eh ouais mon bonhomme, t’es pas au Vauban ici, hein ? Semble-t-on me sussurer à l’oreille. Qu’importe. Comme disait ce cher Antoine Doinel, il n’y a rien de meilleur que les baisers volés. Extatique, je suis assis sur les marches dans l’allée, côté jardin et je shoote instinctivement pendant tout le concert. Tranquille, peinard, à la fraîche, détendu du gland (salut Gégé). Aucun doute, là, ce soir, on est bien chez Miossec et moi, modeste client de sa petite entreprise depuis toujours, je reconnais bien la patte, le style, les mots. L’album qui doit sortir à la fin de l’été regorge déjà de pépites. « Les chiens de paille », « Fortune de mer » (où l’on se perd dans les vagues du côté de Concarneau, sans blague), « Jésus », … Miossec livre des mots, raconte ses failles avec discrétion, élégance et comme toujours avec beaucoup d’humour, un brin goguenard mais pas trop. « On voulait vous prévenir qu’on annule nos trois soirs au Point Virgule. » Référence faite aux deux premiers concerts d’hier et d’avant-hier durant lesquels les choses se sont calées et où la presta était, disons, plus approximative. Mais ce soir, le set est déjà rodé et chacun a trouvé sa place. Et Tiersen alors ? Tiersen arrache des accords nerveux de sa guitare, épaulé par sa dream team, dont Marc Sens aux guitares, Christine Ott aux ondes martenot et un clavier éblouissant, dos au public, derrière un instrument monumental. Un Tiersen exclusivement électrique, exit le violon, le piano et tous ces petits trucs rigolos dont il avait le secret. Un Tiersen version sobre, en somme, mais qu’on ne s’y trompe pas. Cette somme des deux, Miossec plus Tiersen, apporte une plus value inouïe et laisse présager d’une série de concerts définitivement inratable. Aux choeurs, le Quartz réserve une ovation à Gaëlle, ex-princesse du royaume de Beth et régionale de l’étape. Une heure et demi de concert qui transforme le Quartz en bateau ivre et qui tourne la tête. Standing ovation. Miossec et Tiersen reviennent, souriants, heureux comme des gamins et Miossec entame « avoir un bon copain… » Au fond, ce concert, c’est ça. Juste une histoires de potes qui ont eu envie de faire un truc ensemble. De jeter un pont, d’accrocher des mots sur des mélodies, à quatre mains et à deux voix, quelque part, entre Brest et Ouessant…
À propos Hervé LE GALL
Hervé "harvey" LE GALL, photographe auteur basé à Brest au début du monde. A trainé ses godasses et ses reflex dans la plupart des coins sombres de la région Bretagne. Photographe-maison du Cabaret Vauban, photographe officiel des Vieilles Charrues (entre autres). Intransigeant, il aime la photo, les lasagnes, le kouign amann et le Breizh Cola. Rédac chef de SHOTS.
caro dit
Merci pour ce compte rendu, fort, qui m’a fait voyager un instant au Quartz, dans l’ambiance de ce concert… où je n’ai pu aller.