Je ne t’ai jamais vu sur scène. Et je ne t’ai jamais photographié. Voilà. Ca fait deux bonnes raisons de tirer la gueule. C’est comme ça. Je me suis rattrapé avec les autres, pas tous, enfin quelques-uns, surtout ceux chez qui j’avais l’impression de ressentir une sorte d’affiliation avec toi. Je le confesse (en un mot, dommage), je me suis régalé avec le p’tit gars de Brest, regard bleu pétrole – et j’espère bien, bordel, que c’est pas fini et que Miossec me supportera encore un peu – je me suis évaporé avec Daniel Darc, j’ai goûté à l’absinthe avec Bashung, plutôt deux fois qu’une. Mais avec toi, jamais. Un jour j’ai croisé Jane, je l’ai entendu parler de toi, juste un tout petit peu, et pendant ce court laps de temps j’ai été impressionné comme jamais. Je t’aimais beaucoup Gainsbourg, au moins autant que j’ai détesté Gainsbarre, les frasques télévisuelles de ce double façon Mister Hyde ne m’ont jamais fait vraiment marrer, j’avais juste envie de zapper, parce que dès qu’il apparaissait à l’écran en direct, on savait qu’il allait dire une bêtise. Eh ! Oh ! Un moment… Je suis pas en train de dire que tu étais un saint, hein ? Parfois tu savais viser juste (le « I want to fuck you » à cette bécasse de Whitney Houston, c’était fumant) mais parfois tu savais aussi être pathétique, voire odieux comme tu l’as été été avec Catherine Ringer. On t’a tout pardonné, comme on pardonne à son pote les conneries qu’il a dites et qu’il ne pensait pas, pas vraiment. On garde juste quelques perles discographiques, tes débuts, les années soixante et puis les deux indispensables : « l’histoire de Melody Nelson » en 71 et « l’homme à tête de chou », cinq ans plus tard. Ouais mon p’tit gars, j’ai aimé ton regard tendre et malicieux, un peu timide, tes mots, vifs, comme ces aphorismes dont tu étais si fier. Tu pouvais. J’aurais bien aimé avoir le talent d’écrire « prendre les femmes pour ce qu’elles ne sont pas et les laisser pour ce qu’elles sont. » Un soir, alors que j’allais éteindre la télévision, j’ai entendu au journal de la nuit un mec lâcher l’info, sèche comme une claque dans la gueule et j’ai su que c’était fini, parce que tu étais raide mort. J’ai juste lâché un mot, en baissant la tête. J’ai repensé au Gainsbourg de la fin des seventies, sur scène avec Bijou à Mogador, lunettes noires, jeans et gitane (ouais, classieux !) pour une reprise des Papillons noirs, une putain de chanson (je te conseille d’écouter la reprise par Frandol, tu vas aimer). Voilà, je pense à toi souvent, je t’écoute souvent. J’ai lu la semaine dernière une interview dans les Inrocks de Joann Sfar qui prépare un film sur toi. Je crois qu’il te plairait, il est un peu bordelique, pas trop formel et ce qu’il dit de toi est bien pensé. Et puis l’acteur qui t’interprète te ressemble, alors j’ai envie d’y croire, juste de croire l’espace d’un instant que tu es encore là. D’ailleurs, c’est le cas, tu es toujours là, hein ? Affirmatif. Comme Miller – non pas Arthur plutôt Henry, spécialiste du hardcore – tu as pris ton virage à 80. Au fait, tu bandes encore ? No comment.