Si vous avez assisté à un concert de Miossec ou de Tiersen, du côté de Brest ou pas loin, vous l’avez sûrement croisé.
Et si vous l’avez croisé, vous ne pouvez pas l’avoir oublié parce que Dédé – dit Dédé la fleur – c’était le genre de type définitivement inoubliable, parce qu’il était unique. C’est ça, Dédé c’était quelqu’un d’unique. Sa silhouette, déjà, ne pouvait pas vous échapper. Il était voûté, sa petite tête barbue toujours coiffée d’un bonnet comme engoncée sur son corps, comme si le Dédé avait un jour subi un gros coup de vent, un avis de tempête, sur son île d’Ouessant. C’est là-bas, justement qu’on l’a mis en terre aujourd’hui, en ce vendredi de septembre où ce putain de vent souffle sur Brest, sur Ouessant mais pas sur Molène qui ne le mérite pas. Dédé – comme tous les ouessantins – adorait se moquer des îliens d’en face, d’ailleurs Dédé était très moqueur, il s’amusait d’un rien et son regard pétillait de tout.
Dédé aimait la vie et tout ce qui la rend plus belle, la musique de son pote Tiersen, les filles au printemps, sa famille, ses potes d’Ouessant, de Molène, du Vauban et d’ailleurs.
Dédé la fleur n’avait pas son pareil pour te soulager de ton blues, d’un mot, d’un regard narquois mais empreint d’une immense humanité, il savait voir le bon côté de la vie en te faisant oublier tes peines et les siennes, par la même occasion. Dédé était malade et n’en parlait jamais, il souffrait mais personne n’en savait rien. Il allait, comme ça, toujours voûté sur lui-même, poussait un coup de gueule tonitruant qui ne durait jamais très longtemps. On s’était habitué à le voir courbé, comme en lutte après le vent. Le vent de Brest, d’Ouessant, de Molène ou d’ailleurs, à tel point qu’on pensait que Dédé la fleur était immortel.
Il y a quelques jours, le vent a soufflé un peu plus fort que d’habitude et Dédé a lâché la voile. Il nous a quitté dans un dernier coup de sang. On n’entendra plus sa voix dans les couloirs de l’hôtel Vauban, on ne verra plus sa silhouette, dans les coulisses de l’Espace Vauban aux concerts de Miossec ou de Tiersen. De Dédé, on va garder quelques photos, des souvenirs et un bouquet de fleurs de printemps, de ces fleurs qui ne fanent jamais et qui poussent sur une île battue par les vents, quelque part au large de Brest.
Hervé LE GALL
photographe – Espace Vauban Brest
5 septembre 2008
Charles Mouloud dit
BIBI-LA-PURÉE Il connaissait le quartier latin « comme personne » et le fréquentait comme tout monde. Roi de la bohème famélique ou prou. En guise de costume il ne possédait ni lauriers ni couronnes mais des chapeaux trouées et des poches cabossés. Filou et beau parleur, il se disait l’ami de Paul Fort ; il était surtout l’ami des ivrognes et de l’absinthe. Il se disait aussi le secrétaire de Verlaine et, à la mort de son maître, il vendit des dizaines de fois, à regrets, la canne du poète.
Picasso Villon Joyce et les autres lui ont rendu hommage… Voilà un singulier bien oublié. Heureusement, il reste les poètes pour laisser quelques traces… Une anecdote : Bibi la Purée, poète du caniveau aussi célèbre que famélique, s’invitait chaque jour dans la cuisine d’Adèle Renoir, il disait un poème tout en vidant le bocal de cornichons et un litron de rouge.
Complainte pour complaire à Bibi-la-Purée
par Jehan Rictus
Stupeur du badaud, gaîté du trottin,
Le masque à Sardou, la gueule à Voltaire,
La tignasse en pleurs sur maigres vertèbres
Et la requimpette au revers fleuri
D’horribles bouquets pris à la Poubelle,
Ainsi se ballade à travers Paris,
Du brillant Montmartre au Quartier-Latin,
Bibi-la-Purée, le pouilleux célèbre,
Prince des Crasseux et des Purotains !
Le Mufle au sortir d’un bon restaurant
Hurle en le voyant paraître aux terrasses :
— « Quel est ce cochon ? ce gâte-soirée,
Ce Brummell fétide et malodorant,
Vêtu de microb’s et ganté de crasse ?
Vraiment la Police est plutôt mal faite ! »
Mais point ne s’émeut Bibi-la-Purée
Qui porte en son cœur un vaste mépris
Pour quiconque n’est bohème ou poète.
Et lors il s’en va promener ailleurs
Sa triste élégance et sa flânerie.
Cy sont ses métiers, besognes étranges
Et premièrement, simple j’m’en-foutiste,
Puis, chacun le sait, ami de Verlaine,
Ami des ponant’s, ami des artistes,
Modèle à sculpteurs dans les ateliers,
Guide à étrangers, cireurs de souliers,
Vadrouilleur encore, s’il vous plaît, bon ange,
Bon ange à poivrots perdus dans la nuit,
Estampeur, filou, truqueur proxénète,
Ainsi va Bibi, l’illustre Bibi !
On dit de Bibi : — « Chut ! c’est un mouchard. »
D’autres : — « Taisez-vous, il est bachelier ! »
Et d’autres encor : — « Bibi est rentier. »
Mais nul ne peut croire à la Vérité :
Bibi-la-Purée, c’est le Grand-Déchard.
Et quel âge a-t-il ? on ne sait pas bien.
Son nom symbolique en le largongi
Proclame qu’il est assez ancien,
Quasi éternel comme la Misère,
Et trimballes-tu, tu trimballeras,
Ô Bibi, toujours ta rare effigie.
Bibi-la-Purée jamais ne mourra.
Va, comédien, noble compagnon,
Cabot de misère, ami de Verlaine,
Errant de Paris, spectre d’un autre âge
Que ne renieraient Gringoire ou Villon,
Vilain, dégoûtant, lécheur de bottines,
Gibier de prison, chair à échafaud
Que couve l’œil blanc de la guillotine,
Dandy loqueteux, fabuleux salaud,
Ô qui que tu sois, gas d’expédients,
Ministre déchu, ex-étudiant,
Mouchard ou voleur, suce-croquenots,
Tu portes un nom bien plus beau que toi :
— « Bibi-la-Purée » : a dit la Putain ;
— « Bibi-la-Purée », dit la Faubourienne
Aussi la Mondaine, aussi le Bourgeois ;
— « Bibi-the-Piourée », daigne l’Angleterre,
— Bibi-la-Purée, songe le Poète…
C’est le Pèlerin, c’est le Solitaire
Qui depuis toujours marche sur la Terre…
C’est un sobriquet bon pour l’Être Humain.