Au départ, rien ne prédestinait cette optique vintage Nikkor Ai-S 85mm f/1,4 à travailler avec un appareil contemporain comme Nikon Z6. Le choc des mondes, la croisée des chemins, la rencontre du troisième type entre une vieille dame du siècle passé et un petit jeune de l’ultra modernité. Cette histoire, finalement, c’était un peu un non sens, une rencontre que je ne qualifierais pas de contre nature mais quand même ! C’était pas Harold et Maude mais ça y ressemblait.
Non, au départ, j’ai acheté Nikkor Ai-S 85mm f/1,4 pour un projet photo argentique. Je devais initialement tenter de trouver un boîtier de la même période, comme un Nikkormat ou un Nikon FM2, sur lequel cette optique se sentirait à l’aise. Finalement, j’ai opté pour Nikon F100, un reflex sur lequel j’avais posé mon regard depuis plusieurs années. Un excellent reflex Nikon, relativement contemporain, argentique, petit frère du légendaire Nikon F5, dernier reflex monobloc de la marque jaune. Autre avantage, et non des moindres de Nikon F100, sa capacité de monter toute une panoplie d’optiques Nikkor, de la gamme Ai-S aux récentes optiques AF-S. La perspective de pouvoir y monter toutes mes optiques Nikkor en monture F était donc la bienvenue.
Nikkor Ai-S 85mm et Nikon Z6. La rencontre
En revanche, je n’avais pas du tout envisagé que Nikkor Ai-S 85mm puisse travailler avec Nikon Z, tant il me semblait que ces deux mondes étaient parfaitement étrangers. La suite m’a prouvé que j’avais tort. Il ne vous a pas échappé que Nikkor Ai-S 85mm est une monture F, une monture imaginée par Nikon en 1959. Ce caillou est donc capable de monter sur tout boîtier Nikon équipé d’une monture F et par extension sur Nikon Z, via l’adaptateur FTZ. J’étais curieux de voir comment un boîtier à visée réelle comme Nikon Z allait se comporter avec une optique de cette génération. J’ai monté l’adaptateur FTZ sur mon Z6, puis Nikkor Ai-S 85mm f/1,4 sur l’adaptateur. Je voulais voir, j’ai vu. Et je n’ai pas été déçu, c’est rien de le dire…
• Nikkor Ai-S versus Nikon Z.
Le titre est très mal choisi, j’en conviens. Car à aucun moment il n’y aura eu confrontation, entre cette optique vintage au format F et le mirrorless Nikon Z. Je vous dirais bien que Nikon Z a immédiatement reconnu un membre de sa famille mais en fait pas du tout. Nikon Z a simplement constaté que j’avais monté une optique dépourvue d’électronique et il s’est adapté, comme il l’avait déjà fait lorsque je lui avais monté une optique vintage Canon via un adaptateur FD Z.
Dans le viseur, ça ne déçoit pas. Une optique de ce calibre, c’est du métal et du verre, avec un degré de finition tel que cet ensemble optique est capable de restituer la lumière avec brio. Le capteur de Nikon Z et toute l’électronique embarquée sont au service de l’optique. En regardant dans le viseur, je repensais à la justesse de cet adage. C’est par l’optique que passe la lumière. Dans le cas présent, à f/1,4 le capteur de Z6 est à la fête.
• La pertinence du focus peaking
Naturellement Nikkor Ai-S 85mm f/1,4 est une optique manuelle, dépourvue d’autofocus. C’est même ce qui en fait son charme. Ici, pour la mise au point, c’est à l’ancienne. Pour le réglage du diaphragme, c’est idem. Ce qui pourrait apparaître a priori comme un handicap, l’absence d’autofocus, se révèle finalement comme un détail mineur. Mieux encore, le focus peaking autorise une mise au point ultra précise sur l’ensemble de l’image. Il ne faut donc plus raisonner en points AF ou en ensemble de points, mais bel et bien en surface de mise au point. Du point de vue de la précision du focus, c’est absolument imparable.
Le focus peaking c’est quoi ce truc ?
Le focus peaking permet l’illumination, dans le viseur électronique de Nikon Z, de la zone concernée par la mise au point, lorsqu’on utilise une optique manuelle. On peut choisir sa couleur d’illumination (rouge, verte, jaune ou bleue). La technique du focus peaking convient bien pour une optique de cette focale, voire pour un grand angle en paysage. En revanche, je ne me vois pas faire de l’animalier, de la photo sportive en utilisant cette technique sur une focale longue. Mais pour toute prise de vue nécessitant une mise au point précise, comme ça peut l’être en portrait avec une focale de 85mm, le focus peaking est d’une redoutable efficacité et peut s’avérer largement aussi pertinent qu’une optique AF-S.
• Les contraintes de l’optique vintage
On a affaire ici à une optique mécanique. Pas d’autofocus, pas de moteur, aucune transmission ou communication entre l’optique et le boîtier et pour cause. Nikkor Ai-S 85mm f/1,4 vient d’une époque où les optiques n’embarquaient pas d’électronique. Ça signifie que Nikon Z6 ne récupère aucune information relative au diaphragme. On tourne la molette crantée du diaph sur le caillou mais on n’obtient aucun relais de cette information dans le viseur de Nikon Z.
On peut donc travailler en deux modes, soit en mode A (priorité ouverture), soit en mode manuel. En mode priorité ouverture, le travail est assez classique. On choisit son diaphragme et Nikon Z adapte la vitesse en fonction du diaph choisi. En mode manuel, il faut harmoniser le diaph et la vitesse, en fonction de la lumière, de la sensibilité choisie, le schéma habituel en somme.
• Sur le terrain avec le tandem
Il faut avouer que ce Nikkor Ai-S 85mm monté sur Nikon Z via l’adaptateur FTZ confère à l’ensemble une dégaine assez étrange. La prise en main est un peu déroutante au début pour certains utilisateurs, notamment à cause de la bague de diaph située sur l’objectif lui-même. Mais on s’y fait rapidement. Le réglage du diaphragme se fait en temps réel.
C’est là qu’intervient la magie de la visée réelle. On voit, directement dans le viseur, si la scène est correctement exposée ou pas. En revanche, on n’a aucune indication de la valeur du diaphragme dans le viseur et on n’aura pas non plus cette information dans le fichier EXIF, lors de l’editing des fichiers dans Capture One Pro. Finalement, on s’en passe, de la valeur du diaph, ce qui compte c’est l’image. Cela dit, si on choisit de travailler en mode A (priorité ouverture), on sait quelle valeur de diaph on a choisi.
Sur le terrain, dans le viseur de Nikon Z6, cette optique se révèle à la hauteur de sa réputation. Le piqué à pleine ouverture (f/1,4) n’est pas une légende, le flou d’arrière-plan (le fameux bokeh) est lui aussi au rendez-vous. L’image produite est razor cut, avec un luxe de détail assez inouï. La vieille dame montre qu’elle n’usurpe aucunement sa réputation et le travail en binôme avec le mirrorless ne montre pas de limite et prouve qu’une d’optique de ce calibre est éternelle.
Référencer un objectif sans microprocesseur
Dans le menu configuration de Nikon Z, il est possible de référencer les objectifs sans microprocesseur. On leur affecte un numéro d’ordre, on déclare leur focale et l’ouverture maximale. On peut également affecter une commande personnalisée pour indiquer à Nikon Z avec quel objectif on travaille. Le fichier EXIF mentionne alors la focale utilisée et la valeur d’ouverture maximale.
• En conclusion
Est-ce qu’on peut encore produire de belles images avec une optique vintage ? La question ne se pose pas. Achetez une optique en monture F et vous pourrez l’utiliser sur vos boîtiers reflex Nikon ainsi que sur la gamme Z. Il s’agit d’optiques dépourvues d’autofocus, entièrement manuelles. Reste un argument et non des moindres. Le prix. Une optique comme Nikkor Ai-S 85mm f/1,4 coûte de deux à trois fois moins cher qu’une optique AF-S contemporaine et j’ai la faiblesse de croire que l’optique Ai-S conservera sa valeur au fil du temps.
Enfin et surtout, utiliser un objectif Ai-S, c’est une autre approche de la photographie, un autre tempo. Ici, il ne peut pas, il ne doit pas y avoir d’urgence. La mise au point se fait manuellement, la sélection du diaphragme se réalise sur le caillou. Utiliser une optique Ai-S c’est un voyage à la croisée des mondes, un voyage plein de contraintes, avec l’image en récompense.
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